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risquer de froisser leurs usages et leurs mœurs, c’était les arracher à leurs traditions et les pousser dans une voie où ils sentiraient à chaque pas le poids de notre autorité. Les gouverneurs qui se sont succédé à Saïgon l’ont bien compris; aussi se sont-ils appliqués à conserver les formes administratives qu’ils ont trouvées établies dans le pays. Ils n’ont pas eu d’ailleurs à violenter leurs penchans et leurs opinions pour respecter les coutumes des Annamites. L’organisation de la Basse-Cochinchine se rapprochait en effet sous bien des rapports de celle qui fonctionne en France. C’était à peu de chose près le même cadre que le nôtre, et les agens dont il se composait avaient des attributions analogues à celles des fonctionnaires qui remplissent chez nous les emplois correspondans.

Nous avons évité un autre écueil, grâce à l’expérience acquise en Algérie. Nous avons renoncé à la prétention de placer exclusivement l’autorité dans des mains françaises; nous l’avons partagée avec ceux qui se sont ralliés sincèrement à nous, et dans notre organisation nous avons fait une large part à l’élément indigène. Ainsi le pouvoir du commandant-gouverneur, substitué au vice-roi, s’exerce par des administrateurs annamites qui ont conservé les titres et l’autorité qu’ils avaient sous le gouvernement de Tu-duc. Ils sont encore appelés phu et huyen, continuent à rendre la justice, à recouvrer les impôts et à maintenir la tranquillité publique dans leur circonscription. Ils fonctionnent sous la direction et le contrôle des commandans de province, tous officiers de notre armée, qui, suivant l’étendue du territoire confié à leur administration, ont le rang de préfet ou de sous-préfet. Ces fonctionnaires supérieurs sont assistés de deux inspecteurs : l’un qui est chargé des affaires indigènes, l’autre des affaires étrangères. Un système qui aurait exclu des fonctions publiques les indigènes, outre le ressentiment qu’il aurait éveillé dans la population, aurait eu l’inconvénient de nécessiter le concours d’un personnel considérable d’Européens, obligés d’agir avec promptitude dans un pays nouveau pour eux à l’aide d’interprètes et d’intermédiaires dont l’assistance aurait annihilé leur autorité.

On s’est sagement abstenu de toucher à la commune annamite. On lui a laissé ses franchises municipales qui permettent aux habitans de concourir à la gestion des intérêts locaux, ce qui les relève à leurs propres yeux, et leur épargne le sentiment d’une sujétion humiliante envers l’étranger. Cependant une modification a été introduite dans le régime qui existait avant notre occupation. Le maire, qui était élu, est maintenant désigné par le directeur des affaires indigènes et nommé par le gouverneur, mais présenté par les notables. Le maire tient, sous le contrôle des notables, un état qui comprend l’enregistrement des propriétaires de la commune