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pitaux et des travailleurs dans notre nouvelle possession pour y faire pénétrer avec eux notre commerce, nos arts et notre industrie, de manière à témoigner aux yeux de nos nouveaux sujets de la supériorité de notre puissance et de notre civilisation ? C’est là un point qui mérite aussi de fixer notre attention.

Le mot de colonisation doit être entendu à notre époque autrement que dans les siècles qui l’ont précédée. Il n’implique plus les procédés violens et les actes plus utiles que justes auxquels on recourait autrefois pour rendre profitables le plus promptement possible à la mère-patrie les territoires achetés ou conquis au loin. Aucune nation européenne ne voudrait de nos jours employer la contrainte, même à l’égard de la population la plus barbare, pour l’éloigner du sol qu’elle occupe, encore moins user de coercition pour y transporter en son lieu et place des colons recrutés parmi ses condamnés et ses repris de justice, ou les superposer à l’ancienne population. Nous savons bien qu’on parle encore de déportation : la Guyane française reçoit tous les ans des chargemens de malfaiteurs tirés de nos bagnes, et nous entendons dire que de pareils envois sont destinés à la Nouvelle-Calédonie. Sans prétendre nous prononcer sur la valeur morale de ces expéditions, nous remarquons qu’elles sont indépendantes de toute vue de colonisation et pratiquées exclusivement comme mesures pénitentiaires.

Notre entreprise en Cochinchine doit réussir par des moyens économiques que ne répudient pas les principes de justice et d’humanité dont s’honore notre époque. Nous devons offrir des avantages tels aux capitaux et aux travailleurs qu’ils affluent d’eux-mêmes dans notre nouvelle possession, et y viennent, à leur profit comme dans l’intérêt de la France, mettre en valeur les élémens de richesse qui y sont enfouis. De ce point de vue, nous regrettons que notre administration, plus préoccupée de se créer des recettes que de préparer l’avenir de la colonie, ait mis en vente les terrains dont elle avait la libre disposition. Substituée à l’état annamite dans la possession d’un domaine public très considérable, elle l’a découpé en lots qu’elle a commencé d’aliéner à prix d’argent[1]. Rien n’était plus nécessaire pour provoquer un grand mouvement d’immigration que d’affranchir de toute restriction ou de conditions pécuniaires l’acquisition des terres de notre nouvelle colonie, sauf à adopter plus tard le système des ventes. L’appât de la propriété est de tous celui qui agit le plus sur l’homme ; l’individu qui n’a que ses bras et

  1. Règlement du 20 février 1862 sur la vente des terrains du territoire de Saigon En moyenne, les lots vendus l’ont été à raison de 5 piastres 1/2 par mètre carré ; mais ce prix s’augmente d’une redevance annuelle et perpétuelle de 1 à 2 piastres mexicaines et de l’obligation de payer une indemnité au locataire ou sous-locataire des terrains, bâtisses ou établissemens situés sur le terrain en raison des dépenses faites par lui.