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morale est aussi indispensable à un chef d’armée que les connaissances techniques et l’exercice du métier. Il faut être un homme pour commander des hommes; si nos facultés grandissent au feu de l’action par une sorte de fécondation subite et merveilleuse, il est d’autant plus nécessaire de les préparer avant l’épreuve, car l’action ne développe en nous que ce qu’elle y trouve. Il y avait alors à Bruxelles un collège de jésuites : Schulenbourg pensa-t-il que l’instruction donnée à Maurice par ses précepteurs était vraiment insuffisante? Avait-il quelque raison particulière pour recommander les jésuites de Bruxelles? On l’ignore; nous savons seulement qu’il eut le dessein d’y faire entrer le jeune soldat, et que ce projet alarma fort la comtesse de Kœnigsmark. Il y avait un fonds d’idées sérieuses chez la noble pécheresse; elle était protestante et tenait à sa religion. La lettre qu’elle écrivit sur ce point au comte de Schulenbourg, et que M. de Weber a retrouvée dans les archives de Dresde, éclaire d’un jour assez nouveau cette femme extraordinaire. Plus tard, en plein XVIIIe siècle, les Aurore de Kœnigsmark pourront bien, selon les circonstances, passer indifféremment d’une communion à l’autre; la mère de Maurice éprouve de véritables scrupules de conscience à l’idée de livrer son fils aux jésuites, et, tout en se soumettant d’avance à ce que décidera plus tard le roi de Saxe, elle supplie Schulenbourg de ne pas exposer son fils à des influences qu’elle redoute. C’est le 29 octobre 1709 qu’elle lui écrit ces mots dans une lettre en français datée de Hambourg : « Obligée en conscience d’éloigner le changement de religion autant qu’il sera en mon pouvoir, j’ose vous supplier, monsieur, de songer à un autre expédient. Le roi ne s’est jamais encore expliqué sur le point de la religion du comte de Saxe. Je crois qu’il a voulu voir premièrement comment iraient les conjonctures et en quel pays il pourrait l’établir. Il a souffert, en attendant, que je l’élève dans la religion luthérienne, où il a été baptisé. »

Pour comprendre ces derniers mots, il faut se rappeler que l’électeur de Saxe avait dû se faire catholique en 1696, lorsqu’il disputait le trône de Pologne au prince de Conti et à son habile chargé d’affaires, le cardinal de Polignac. La comtesse avait tort pourtant de se préoccuper de l’avenir à ce point de vue. Frédéric-Auguste est trop complètement étranger à de telles questions, le XVIIIe siècle sera trop dégagé de scrupules pour qu’un changement de religion puisse être nécessaire à la carrière de Maurice. Le fils d’Aurore de Kœnigsmark restera luthérien, non par foi, mais par indifférence. Mme de Pompadour elle-même, nous le verrons plus tard, était étonnée de son incrédulité; ce n’était pas scepticisme et inquiétude, c’était un néant absolu de croyances religieuses et une parfaite tranquillité dans ce néant. Tel était d’ailleurs l’esprit des cours euro-