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Dominique c’est au pays qu’il s’adressait en commençant par un acte de foi en ses destinées, à ce pays qui n’était pas un vain mot pour son intelligence, à qui il souhaitait de ne jamais désespérer de sa cause, de garder toujours son office éminent dans le monde, et qui pouvait, ajoutait-il, avoir de meilleurs serviteurs que lui, mais non de plus dévoués. S’il parlait de liberté, c’était en homme qui en acceptait les conditions, les responsabilités, en même temps qu’il en revendiquait les droits, et qui répudiait pour tous les secours ou les médiations de la force. S’il s’adressait à la jeunesse particulièrement, il ne cherchait pas à la courber sous l’inflexibilité d’une théologie sèche et abstraite; il savait trouver de ces accens qui remuent jusqu’au fond les jeunes cœurs en leur parlant de leurs plus secrètes faiblesses, de leurs plus mystérieuses aspirations. Il mêlait à l’exposé du dogme les observations fines, les images touchantes ; il représentait un jour la charité comme un don fait par Dieu à l’église pour aller sécher les larmes, « car, disait-il, il y a des larmes dans tout l’univers, et elles nous sont si naturelles qu’encore qu’elles n’eussent pas de cause, elles couleraient sans cause, par le seul charme de cette indéfinissable tristesse dont notre âme est le puits profond et mystérieux... » Lacordaire a toujours eu de ces élans de sensibilité, de ces mélancolies chrétiennes qui l’ont fait ressembler à un René catholique parlant à la jeunesse de la soif de l’infini et des vagues ardeurs. C’était assurément une parole d’un genre nouveau, qui n’avait rien de la prédication ancienne, et qui devenait d’autant plus puissante qu’elle avait l’accent, la couleur de l’esprit moderne. Cet étrange homme d’église prenait au siècle ses armes pour combattre quelquefois contre lui, mais le plus souvent pour lui et pour ses espérances.

Il est surtout un sentiment qui est plus particulièrement le propre de l’homme moderne, et qui était aussi sincère qu’énergique dans l’âme de Lacordaire : c’est le sentiment de la liberté, de la justice, la haine des despotismes persécuteurs. Ce que Lacordaire était dès l’origine sous ce rapport, il l’a été toute sa vie, et il l’a été dans ses effusions les plus intimes comme dans son langage public, dans le secret de sa conscience comme dans les manifestations extérieures de sa pensée. Ses lettres peuvent laisser voir des illusions, des contradictions, des combinaisons naïves d’idées; elles témoignent au fond de l’inviolable énergie de ce sentiment libéral à travers les péripéties de l’histoire contemporaine. Pour d’autres, cet appel à la liberté, qui fut, il y a vingt ans, le mot d’ordre des croisades religieuses, était visiblement une tactique, un coup de diplomatie qui leur semblait habile ; c’était un euphémisme heureusement imaginé pour arriver à la domination, et beaucoup de ceux qui