Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prince Eugène, apprenez à ne pas confondre la témérité avec la valeur. » La campagne finie, il se rendit à Utrecht, mais bientôt après il fut rappelé en Saxe par un ordre du comte de Flemming; le 26 janvier 1711, il arrivait à Leipzig auprès de sa mère, et le comte de Schulenbourg, au moment de se séparer de son élève, lui adressait de paternelles admonitions pour l’avenir.

Schulenbourg est une des grandes figures de cette époque. Général au service du roi de Saxe ou de la république de Venise, il appartient à la famille de ces soldats allemands du XVIIe et du XVIIIe siècle, qui acceptaient un pays pour client et lui prêtaient leur épée, cherchant moins les profits que les occasions de gloire. Condottieri de quelque grande cause, ils ne ressemblaient pas plus aux mercenaires des temps passés que la civilisation du XVIIe siècle ne ressemblait à celle du moyen âge. Gustave-Adolphe n’était-il pas leur modèle? N’ont-ils pas à citer encore ce comte de Schauenbourg-Lippe, qui devint en 1761 généralissime de l’armée portugaise? ou ce vaillant Steuben, qui fut le digne auxiliaire de Washington et de La Fayette dans la guerre de l’indépendance américaine? Le comte de Schulenbourg a sa place marquée dans ce noble groupe. C’était un chef vigilant, intrépide, plein de ressources, admiré de Charles XII, qui recula devant lui, estimé de Villars autant que du prince Eugène, soldat austère et qui ne craignait que Dieu. On ne lira pas sans intérêt les conseils si graves, si touchans, qu’il adressait à Maurice de Saxe au moment de quitter le service du roi son père.


« 13 octobre 1710,

«J’espère que vous tâcherez d’employer bien votre temps; le principal sera d’entrer en vous-même et de considérer que vous serez misérable toute votre vie, si vous ne vous rendez pas habile et que vous ne tâchiez d’avoir bien plus de mérite qu’une infinité d’autres hommes. Vous en savez les raisons aussi bien que moi, et vous comprenez bien que je vous parle en ami et sans aucune vue d’intérêt... Il vous faut deux choses : la première est d’être honnête homme, ce qu’on ne saura jamais être si on ne craint Dieu, qui est la base de tout; alors vous avez le cœur bon et bien placé, vous êtes sincère en tout ce que vous dites et faites, et vous n’avez garde de rendre jamais de mauvais services à personne. La seconde est d’être habile; vous avez déjà vu le monde, et vous n’ignorez pas combien de choses il faut pour être habile et homme de mérite. Commencez donc dès aujourd’hui à bien employer le temps et à vous proposer fermement de ne pas perdre un quart d’heure sans profiter et sans apprendre quelque chose; il n’y a rien de si horrible que d’être ignorant. On a honte de soi-même et on enrage cent fois par jour, aussi souvent que l’on se trouve parmi le monde. Quel plaisir ou profit avez-vous de perdre à cette heure le temps sans rien apprendre? Suivez mes bons avis et les conseils de vos bons amis, et vous vous en trouverez bien. Il est encore temps. »