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Pourquoi ce couplet d’opéra-comique ? Quels sont ces ennemis cruels ? Se croyait-elle encore poursuivie par M. de Gersdorff ou le comte de Friesen ? Était-ce l’impatience de devenir enfin une dame et la crainte de voir le fils du roi lui échapper ? Mauvais enfantillage, si je l’ose dire, enfantillage d’une imagination surexcitée de bonne heure, et qui ne fait que trop pressentir les futurs désordres de la jeune femme.

Trois années plus tard, le 1er  mars 1714, Maurice n’ayant encore que seize ans et sa fiancée quinze ans à peine, un édit royal les déclara majeurs tous les deux, « en considération, disait le souverain, de leur bonne conduite, qui nous est personnellement connue : Wegen ihrer Beiden Uns Selbst bekannten guten Aufführung. » Le 10 du même mois, les deux fiancés, les deux enfans signèrent leur contrat de mariage, où ils s’engageaient « par une solennelle et irrévocable promesse à s’aimer l’un l’autre comme mari et femme, en tout honneur et toute affection, jusqu’à la fin de leurs jours : Versprachen Kraftig und unwiderruflich, dass sie sich einander Zeit ihres Lebem ehelich, ehelich, und herzlich lieben wollten. » La cérémonie nuptiale eut lieu le 12 mars au château de Moritzbourg, et ce fut le signal d’une série de fêtes dans la royale demeure.

Ne semble-t-il pas que ces promesses solennelles, irrévocables, ces recommandations impérieuses et multipliées, aient eu ce jour-là une signification particulière dans la pensée de ceux qui les dictaient ? Elles offrent du moins un singulier contraste avec les événemens qui vont suivre. Maurice était une de ces natures de feu à qui l’action est nécessaire et qui se dévorent, qui se détruisent elles-mêmes dans l’oisiveté. Les archives de Dresde nous apprennent que la jeune comtesse de Saxe, étant devenue enceinte peu de temps après son mariage, supplia le roi de ne pas lui enlever son mari, de ne pas le laisser partir pour l’armée, au moins jusqu’à l’époque de sa délivrance. Elle eût mieux fait de l’envoyer elle-même aux combats. Elevé dans la cour la plus dissolue, le comte Maurice n’avait pas en lui assez de ressources pour échapper aux pièges d’une existence princière ; c’est sous le harnais que de tels caractères se déploient tout entiers. Il leur faut la lutte matérielle pour qu’ils fassent éclater leurs qualités morales ; trop peu préparés aux combats intérieurs, ils cèdent au premier choc, si l’action ne les soutient pas. Maurice, au milieu des camps, n’est pas seulement un capitaine de génie, un inventeur de manœuvres, un tacticien original, c’est un homme, un cœur aux inspirations généreuses ; dans le train de la vie commune, ce n’est plus qu’un débauché dont Voltaire lui-même ne pourra parler sans dédain. Ce caractère se dévoile à nous dès ces premières années. On raconte que le 21 janvier 1715,