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le jour où la comtesse de Saxe mit au monde son enfant (c’était un fils qui vécut seulement quelques jours), Maurice commit une témérité qu’il faillit payer de sa vie. Il avait organisé une partie de traîneau sur l’Elbe. Or le dégel avait commencé, bien qu’une couche de glace couvrît encore les eaux du fleuve, et c’était vraiment folie que de s’exposer à un tel péril. Malgré toutes les remontrances, il tint bon, emmenant avec lui deux compagnons qui sans doute, en présence de ses bravades, n’avaient pas eu le courage de se montrer plus prudens. C’étaient le prince Henri II de Reuss et un cavalier dont on n’a pas dit le nom. Maurice tient les rênes, ils partent, ils volent; mais soudain la glace se rompt, et cheval et traîneau disparaissent sous les ondes. Un instant après, on voit apparaître à fleur d’eau la tête du comte de Saxe; il s’accroche aux glaçons et finit par aborder au rivage. Le cavalier se sauve aussi; quant au prince de Reuss, il faillit ne pas sortir vivant de cet abîme, et ce fut à grand’peine que ses deux compagnons purent lui tendre une main secourable. Folles équipées de l’homme d’action qui se perdra dans les témérités inutiles ou les dissipations vulgaires, s’il ne lui est pas permis d’aspirer à la gloire !

Maurice obtint la permission de retourner à l’armée à la tête de son régiment, et il prit part aux guerres que l’électeur de Saxe soutenait alors pour reconquérir son royaume de Pologne. Un jour qu’il allait rejoindre l’armée saxonne à Sandomir, ayant cru sur un faux bruit qu’un armistice venait d’être signé entre les Saxons et les Polonais, il se mit en route accompagné seulement de cinq officiers et d’une douzaine de serviteurs. Arrivé au petit village de Krosniec, il se mettait à table avec ses officiers dans une salle d’auberge, quand on lui annonça que les ennemis accouraient. C’était une troupe d’environ huit cents cavaliers. Sans hésiter une seconde, Maurice se décide à la lutte et prend ses dispositions avec autant de sang-froid que de vigueur. Il a trop peu de monde avec lui pour défendre la cour de l’auberge et les murailles qui l’environnent; il se retranche dans la maison, résolu à s’ensevelir sous ses ruines plutôt que de se rendre. C’est Charles XII à Bender. Quelques-uns des soldats de Maurice gardent le rez-de-chaussée de la maison, tandis que les autres, déchargeant leurs mousquets par les fenêtres du premier étage, déciment les assaillans. Les postes d’en bas vont céder au nombre; Maurice les rappelle, détruit l’escalier, barricade les portes, et la lutte recommence avec acharnement. L’ardeur du chef et sa présence d’esprit se communiquent aux soldats. Vingt contre mille, ils comprennent qu’ils doivent frapper à coup sûr. Ceux-ci tirent par les croisées converties en meurtrières ; ceux-là, faisant des trouées dans le plancher, mitraillent du haut en bas l’ennemi entassé dans les salles. Le combat dura plus de cinq heures;