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des tempêtes. Sans doute la Grande-Bretagne peut s’enorgueillir de bâtimens beaucoup plus fiers et beaucoup plus coûteux, véritables cités de fer ou de bois qui balancent triomphalement leurs mâts à la surface des vagues comme des flèches d’église. Si admirable pourtant que soit la marine anglaise, il est un spectacle qui a aussi sa grandeur, celui de cette humble flotte bien équipée, toujours prête et animée en quelque sorte de l’amour de l’humanité. Plusieurs des bateaux de sauvetage ont été offerts à l’institution par des femmes généreuses. Une lady se présente un jour dans les bureaux de la société, et laisse l’argent nécessaire pour acheter un life-boat, tout en refusant de faire connaître son nom. Elle revient trois fois encore, et à chaque visite elle dépose le prix d’un nouveau canot de sauvetage. « Je serai amplement récompensée, dit-elle, si j’apprends jamais qu’un de ces quatre life-boats a sauvé la vie d’une seule personne. » Ses vœux furent exaucés. Durant l’hiver de 1862, une affreuse tempête éclata pendant la nuit dans la baie de Dundrum. A la pointe du jour, on aperçut en mer un malheureux attaché aux agrès d’un vaisseau qui avait sombré. Un bateau ordinaire, qui se trouvait sur la côte, s’avança bravement pour lui porter secours; mais il fut bientôt renversé par le ressac, et les six hommes qui le montaient ne se sauvèrent qu’à grand’peine. Heureusement dans la baie de Dundrum se trouvait un des life-boats donnés par la dame sans nom, ainsi qu’on avait fini par la désigner. Le canot mit à la mer, atteignit bientôt la scène du naufrage, et détacha d’entre les agrès un infortuné qui ne donnait plus aucun signe de vie, mais qui ne tarda point à revenir de son état d’insensibilité quand il eut regagné la terre. C’était le maître même du bâtiment, et il déclara que son équipage, composé de trois hommes, avait été jeté par-dessus le bord durant la tempête de la nuit.

Souvent ces donations volontaires de life-boats sont inspirées par un sentiment de reconnaissance. Il y a quatre années environ, le yacht d’une noble lady qui visitait les côtes de l’Irlande fut heurté pesamment et culbuté par un lougre de pêche. La dame fut sauvée par un de ses amis qui, plongeant et nageant, la ramena vers le rivage. En manière d’ex-voto, elle offrit à l’institution 300 livres sterling pour établir un nouveau life-boat sur les côtes de l’Irlande. Ce bateau fut placé à Carnsore, pauvre village qui s’élève près des écueils de Wexford. L’hiver suivant, une barque venant de toute la distance de Glasgow, la Guyana, fut mise en détresse devant Carnsore par une mer effroyable. Le life-boat donné à Carnsore fut lancé à travers la tempête, et dix-neuf naufragés, exposés depuis plus de cinq heures à toutes les injures de la mer et à toutes les an-