Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De cette époque date pour la Corse une ère nouvelle. Les lois sur la prohibition du port d’armes et sur la vaine pâture y introduisirent une sécurité relative et mirent la propriété particulière à peu près à l’abri des déprédations des bergers. Le gouvernement toutefois ne s’en tint pas là, et montra par une série de mesures le prix qu’il attachait à la régénération de ce pays. Dans le rapport qu’il adressa à l’empereur pour faire sanctionner son projet de transaction, M. Blondel avait signalé l’ouverture de routes dans toutes les directions comme la mesure la plus efficace qu’on pût adopter. Ce n’était pas seulement pour mettre les forêts en valeur qu’il les croyait utiles, c’était surtout pour faire sortir les villages de leur isolement, pour y faciliter l’action administrative, pour amener la fusion des intérêts, développer le goût du commerce, diminuer les frais de transport et accroître la sécurité générale. Il rappelait que c’est par des routes qu’en 1746 l’Angleterre a fondé la prospérité de l’Ecosse, que la Vendée n’a été pacifiée et que nos campagnes elles-mêmes ne se sont civilisées qu’en devenant plus accessibles. Son appel a été entendu : dès 1853, une somme de 5 millions fut votée pour l’établissement d’un réseau de routes qui ne comprenait pas moins de 561 kilomètres, et dont la plus grande partie est aujourd’hui livrée à la circulation. Bien que l’objet principal de cette création fût l’exploitation des forêts et que les frais en dussent être couverts par le produit des ventes de bois, il n’en est pas moins vrai que ce réseau, tout en desservant les principaux massifs et les reliant aux ports d’embarquement, sert en même temps de voie de communication entre les diverses localités et de trait d’union entre des villages qui n’avaient eu jusqu’ici aucun rapport.

Jusqu’alors toutes les tentatives pour exploiter les richesses forestières de la Corse avaient échoué, quoiqu’en 1840 on eût essayé d’adjuger en bloc les coupes à faire pendant un laps de temps de dix années dans un même bassin. On avait espéré que l’importance d’un pareil marché et la perspective de bénéfices considérables à réaliser attireraient quelque compagnie puissante qui pût à ses frais ouvrir des routes, construire des scieries, établir des barrages sur les cours d’eau, en un mot exécuter tous les travaux qu’exige une exploitation bien conduite; mais ces espérances furent déçues, et on ne vit aucun amateur sérieux se présenter à l’adjudication. On ne fit plus depuis dans les forêts que des coupes destinées à satisfaire les besoins locaux. De temps à autre, on vendait deux ou trois cents arbres, que l’acheteur faisait abattre et débiter en planches par des ouvriers lucquois, et qu’il faisait transporter à la ville dans cet état, soit sur le dos des mulets, soit même sur la tête des femmes, par des chemins impraticables à tout autre moyen de trans-