Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

locales paraissent-elles offrir plus de chances de réussite que les grandes compagnies financières qui sont toujours tentées de s’exagérer la puissance de leurs moyens d’action et de donner aux travaux une activité factice.

Voilà donc à quoi se réduisent les magnifiques espérances que les Corses fondaient sur l’exploitation de leurs forêts! A les entendre, elles devaient suffire à approvisionner de bois de marine tous les ports du continent et répandre en même temps dans l’île une richesse inconnue. Or il se trouve que les sapins de Norvège et les plus de Riga ne reviennent pas plus cher, rendus à Toulon, que les laricios de la Corse, et que les habitans, au lieu de demander au travail dans les forêts le bien-être qu’il pourrait leur donner, laissent une partie du profit aux Lucquois. Et quand même ces forêts rapporteraient un million au trésor et jetteraient dans la consommation 200,000 mètres cubes de bois équarris, qu’est-ce que cela sur un marché comme la France, qui fait chaque année venir pour 120 millions de bois de l’étranger? Et quel bénéfice la Corse elle-même en retirerait-elle? Les Corses, il est vrai, demandent instamment qu’on établisse un chantier de constructions navales et un arsenal militaire à Ajaccio ou à Saint-Florent, et le conseil-général prête à ce vœu l’appui de son autorité. Jusqu’ici, grâce à Dieu, le ministre a répondu que le port de Toulon suffisait aux exigences du service, et nous espérons qu’il en sera toujours de même; mais si par malheur la nécessité d’un nouveau port militaire se faisait jamais sentir, la Corse serait un des derniers points à choisir, car elle n’offre rien de ce qu’il faut pour la construction des bâtimens cuirassés, les seuls aujourd’hui qui méritent le nom de navires de guerre. Elle ne produit que peu de fer, et ses forêts ne fournissent ni membrures ni bordages, puisque le chêne y fait presque défaut. Les ressources maritimes qu’elle peut offrir se réduisent à fort peu de chose. Il résulte d’un rapport de M. Dorien, qui fut, comme ingénieur de la marine à Toulon, chargé en 1846 d’une reconnaissance générale des forêts de la Corse, qu’on pourrait y trouver 3,650 mâts de 50 centimètres d’équarrissage et au-dessus, 10,560 mâtereaux, 3,660 plançons, 940 baux et 28,630 espars. Et c’est pour cela qu’on voudrait créer un arsenal militaire! Ce qu’il y a de difficile d’ailleurs, c’est de transporter les bois du fond des forêts jusqu’aux ports d’embarquement. La création d’un chantier à Ajaccio ne serait donc, même à ce point de vue, que d’une utilité douteuse, puisque les bois n’y coûteraient pas beaucoup moins cher qu’ils ne coûtent en France; mais lors même qu’on se déciderait à créer cet arsenal militaire, qu’est-ce que la Corse en définitive pourrait y gagner? Si les Corses ne veulent que du travail, ils peuvent, dans les condi-