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naient un air de distinction mélancolique. Je me disais vaguement qu’il y avait dans cette jeune femme de la volonté, de l’intelligence, du cœur peut-être, et malgré cela je sentais que je ne pouvais l’aimer. À mon sens, cette belle éplorée eut fait l’admiration d’un artiste, mais non pas le bonheur d’un honnête homme. Et d’ailleurs l’amour a ses jours de floraison, et pour mon âme pleine de fantaisies aventureuses l’heure d’aimer n’était point encore venue. Je ne sais si la jeune fille assise en face de moi lisait mes pensées sur mon visage, mais je voyais ses joues et son front se colorer faiblement chaque fois que ses yeux rencontraient les miens.

Le banquier voulut nous retenir à dîner ; mais le baron, qui prévoyait que j’allais refuser, prit les devans et s’excusa lui-même en parlant d’une affaire urgente. Je quittai enfin ce salon, où je respirais si péniblement, avec la triste conviction que je ne pourrais jamais vivre dans la même atmosphère que ma femme.

Je soupai le soir au Palais-Royal avec le baron. Vers la fin du repas, il me demanda comment je trouvais ma fiancée. — Elle a d’assez jolies mains, lui dis-je froidement. — Vous êtes bien modeste, répliqua-t-il ; croyez-moi, je me connais en pierres précieuses, et je vous donne celle-ci pour un diamant de la plus belle eau. — Il parut réfléchir un instant, et reprit : — Cette charmante pécheresse a des délicatesses d’esprit que vous apprécierez, j’en suis certain ; sentant très bien ce que sa position et la vôtre ont d’équivoque, elle veut, en vous donnant sa main, vous créer une existence indépendante. Elle a fait insérer dans le contrat une clause qui vous constitue en propre trente mille livres de rente. J’ai accepté pour vous d’après les pleins pouvoirs que vous m’avez conférés. Et maintenant, quelle que soit votre répugnance pour les questions d’argent, il faut que vous sachiez quelle va être votre situation. M. Chantoux a près de dix millions ; en mariant sa fille unique, il lui donne le château de Saverne, estimé un million, huit cent mille francs placés sur le grand-livre, et trente mille francs de rente pour vous, hypothéqués sur les deux hôtels qu’il possède à Paris. Vous voilà, mon cher comte, bien à plaindre, et sans parler de ce qu’il fait pour votre père, dont les dettes…

Je l’arrêtai.

— Tout cela est fort beau, lui dis-je avec tristesse ; mais il est fâcheux que je ne me sente aucune disposition pour le mariage, et que la personne que j’épouse ne soit pas faite pour modifier mes sentimens. Plus j’approche du moment fatal, et plus j’éprouve de répugnance pour le titre d’époux et le sacrement qui va me le conférer.

— Ce sacrement, mon très cher comte, a des effets miraculeux,