Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/471

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ses balustres à double ventre, ses enroulemens, ses arabesques et ses fleurs.

Dans la disposition d’esprit où je me trouvais, je n’étais guère d’humeur à examiner tout cela en détail. Je jetai un rapide coup d’œil sur l’ensemble, et, me laissant entraîner par le baron, qui s’était mis en tête de me faire lui-même les honneurs de mon château, je pénétrai dans l’intérieur avec l’indifférence raide et muette d’un Anglais qui visite un monument curieux. Je n’écoutais rien de ce que me disait mon guide, je ne voyais rien de ce qu’il me montrait. Il me souvient seulement d’une vaste galerie où le banquier avait eu l’idée de placer tous les portraits de ma famille qu’il avait pu sauver pendant la révolution, et qu’il avait fait restaurer avec beaucoup de soin. En voyant tous ces nobles personnages, les uns la cuirasse au dos et le casque en tête, les autres en bonnet de velours et en justaucorps de satin, et ces hautes dames richement parées dans leurs robes à grands ramages, en voyant toutes ces ombres silencieuses dont pas une ne daigna tourner la tête au moment où nous entrâmes, il me vint à l’esprit une idée folle.

— Mon cher baron, dis-je, puisque vous me faites les honneurs de céans, présentez, je vous prie, à cette vénérable assemblée le dernier des Saverne ; dites-leur bien que, quoique le dernier venu de leur race, je ne serai indigne d’aucun d’eux.

— Eh bien ! soit, répliqua le baron, et, me prenant par la main, il me présenta à toutes ces figures impassibles avec le cérémonial d’usage dans les vieilles cours féodales. Tout cela se fit avec un grand sérieux. C’était dérisoire dans la forme et assez triste au fond.

La journée avait été rude ; je saluai le baron, et je me retirai. J’avais besoin de quelques heures de solitude et de repos. Depuis quinze jours, je ne m’appartenais plus. Je vivais dans un tourbillon qui ne me permettait de m’arrêter à rien, et je n’en avais pas encore fini avec cette grande bataille du mariage. Il me restait une dernière escarmouche à livrer pour reconquérir entièrement cette indépendance que je venais d’aliéner par des paroles sacramentelles. Je voulais connaître au juste les dispositions de la comtesse à mon égard, et avant de quitter, peut-être pour la vie, celle qui maintenant portait mon nom, avoir avec elle une heure de conversation à cœur ouvert. Plus j’approchais de cet instant critique, moins je savais sur quel ton engager l’entretien. Je m’habillai à la hâte pour la soirée, et je me fis annoncer chez la comtesse. Je la trouvai dans son boudoir. Elle venait de terminer sa toilette. Dans ma vie plus active et plus studieuse que galante, je n’avais jamais eu avec les femmes que des rapports assez rares et de simple convenance. Brusque et insouciant, je n’avais rien pour leur plaire, et je