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II.

A la même altitude que la vigne, au-dessus jusqu’à 900 mètres et au-dessous, dans les bassins et les plaines, s’étend la région du blé et des autres cultures qui lui succèdent dans la rotation, le maïs, le sarrasin, l’orge, l’avoine, le seigle et les pommes de terre. Le maïs craint le climat des parties supérieures de la région et ne suit le blé qu’à 600 mètres. Le sarrasin, qui forme ce qu’on appelle une culture dérobée, monte partout où le blé prospère, mais il est souvent détruit par les premières gelées de l’automne. Le seigle, qu’on aperçoit trop fréquemment sur les belles terres à froment de la plaine, s’élance jusqu’au sommet des montagnes et brave la rigueur du climat et la longueur des hivers. On le sème plus tôt à mesure qu’on s’élève. Semé en août dans les parties montueuses, afin qu’il ait le temps de faire une tige forte et une racine profonde avant l’hiver, il demeure enseveli pendant six mois sous l’épais linceul de neige qui le soustrait au contact immédiat d’un ciel inclément, et il n’est récolté qu’en septembre, après treize mois de séjour dans la terre. Au premier printemps, aussitôt que la neige est fondue, sa tige, couchée sous le poids qu’elle a supporté, se relève, reprend sa verdure éclatante avant toute autre végétation, et le champ de seigle apparaît le premier sur le fond gris et brûlé de la montagne. L’orge et l’avoine, que le cultivateur de la région haute a la mauvaise habitude de semer ensemble sur le même champ, envahissent le même degré d’altitude que le seigle, jusqu’à 1,400 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Un fait de végétation d’une haute importance pour l’économie rurale de la Savoie est signalé dans toutes les vallées situées à la limite supérieure de la région du blé, entre 800 et 900 mètres, savoir l’élargissement de cette région par l’introduction de la prairie artificielle dans l’assolement. Le blé venant après le trèfle a conquis des espaces qui lui étaient interdits auparavant. Le moment critique pour le blé, dans un climat de montagne, est celui de la fonte des neiges. Si la neige fond par le soleil, la perte du blé est certaine, il périt déraciné par l’alternative meurtrière de la chaleur du jour et de la gelée de la nuit, qui resserre et ramollit, abaisse et soulève tour à tour la couche superficielle du champ. Or la prairie, en préparant au blé un sol mieux nourri et réchauffé par une fumure abondante, où sa racine plonge profondément, l’a rendu vainqueur de cette alternative. La zone de la céréale par excellence embrasse maintenant des vallées, des plateaux et des pentes où les risques de cette culture faisaient le désespoir du laboureur avant l’arrivée du