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d’avoir abdiqué devant l’égalité française. L’élévation du loyer de la terre est aussi un poids bien lourd sur la condition du fermier et du métayer. Le cens en argent s’élève jusqu’à 300 francs l’hectare dans un rayon de trois kilomètres autour de Chambéry, et dans le bassin entier la moyenne est de 130 fr. Le métayage, quoiqu’on en dise beaucoup de mal, accroît en définitive le bien-être du cultivateur comme du vigneron, à la condition pourtant que la culture soit en progrès et que le travail et la propriété bénéficient également de ce progrès; mais il est facile de se convaincre que le partage n’est pas toujours égal en Savoie, alors même que le propriétaire ne fait pas d’autres avances que sa ferme. Les contrats de métayage renferment des stipulations qui deviennent de plus en plus onéreuses pour le travail à mesure qu’on approche de la ville. Le propriétaire que sa position sociale ou ses goûts particuliers retiennent à la ville se montre plus exigeant que celui qui réside sur sa terre et assiste au travail du métayer. J’ai pu aussi m’assurer, par la comparaison des contrats de métayage passés à diverses époques, que les exigences de la propriété avaient augmenté avec le progrès du luxe et du comfort dans les villes.

Le métayage est le système de culture des pays où l’argent est peu abondant. Il domine dans la Savoie méridionale, mais en avançant vers le nord, le fermage le remplace sur les terres qui ne sont pas cultivées par le propriétaire. C’est dans le nord qu’est située l’aire agricole la plus étendue des deux départemens. Elle est contenue entre le lac Léman, le Rhône et les montagnes qui ferment le bassin de Genève au sud-est et font à la Suisse une frontière naturelle. D’abord resserrée entre le lac et la Dent d’Oche, cette aire s’ouvre toute grande, à partir de Thonon, du côté du midi, où elle est interrompue par les deux Salèves, et se prolonge au pied de ces montagnes vers les hauteurs du Wuache qui font face au fort de l’Écluse et vers le col des Bornes, qui débouche sur Annecy, mesurant dans ces limites 200,000 hectares, sur lesquels 100,000 sont propres à la culture des céréales et de la vigne. Magnifique surface agricole qui réunit toutes les beautés et toutes les richesses de la nature! Qui n’a pas admiré l’amphithéâtre grandiose que présente le côté savoyard du bassin du Léman? Le regard étonné descend des hauteurs du Mont-Blanc par une éclatante succession de zones de végétation, de montagnes, de collines et de plaines noyées dans la lumière, encadrées au sommet par la ligne éblouissante des neiges éternelles, et au bas par la nappe unie du lac, qui renvoie les rayons du soleil sur les vertes profondeurs de ce tableau immense. La grandeur des lignes et la majesté des contours ne font oublier nulle part la richesse du sol : elle apparaît dans les vergers