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desquelles il est tiré, aussi apprécié que celui de Narbonne. L’abeille est d’une activité surprenante dans cette région hyperboréenne, comme si elle retrouvait, elle aussi, une plus grande liberté de mouvement par la diminution de la pression atmosphérique. Elle remplit en peu de jours sa ruche, et si l’on n’a pas eu la précaution de la construire suffisamment spacieuse, le rayon débordant coule bientôt sur le granit et réalise ainsi l’image biblique du miel découlant du rocher[1].

Le miel de la montagne est fort recherché dans le commerce; mais la cire ne vaut pas celle des plaines, parce que l’abeille des hauts sommets fait entrer dans la composition du rayon une certaine quantité de résine enlevée à l’abies picea, sorte de pin qui monte le plus haut dans la zone des forêts. Cette résine salit la cire et détruit la blancheur immaculée qu’on recherche pour les cierges d’église. On sait que la cire a été adoptée par les conciles comme le luminaire du culte catholique. Le prix de ce produit pour ainsi dire sacré, car tout autre mode d’éclairage serait considéré comme profane, a sensiblement haussé depuis quelques années, et la hausse des prix correspond à l’effort de l’église pour donner un nouvel éclat aux cérémonies religieuses. L’apiculture ayant un rapport étroit avec le culte, il est bien naturel que les hommes d’église la tiennent fort en honneur et l’encouragent. Les curés de campagne s’y livrent avec succès, et elle doit à leurs efforts intelligens les progrès qu’elle a réalisés en Savoie. Chaque presbytère est accompagné d’un jardin situé dans la plus belle exposition de la commune, et au fond du jardin il est rare qu’on n’entende pas le bourdonnement de la tribu industrieuse. Le propriétaire y passe les heures de loisir que lui laisse le soin de ses autres ouailles: il observe en récitant son office du jour, il étudie les mœurs de l’abeille et les moyens d’augmenter le produit de son travail, et les exemples qu’il donne ne sont pas perdus pour la paroisse. C’est dans les vallées de l’Isère et de l’Arly que l’apiculture a pris les plus grands développemens; de la route on aperçoit auprès de chaque habitation le rucher, dont l’installation est des plus économiques. Quelques-uns renferment 100 ruches. Un propriétaire de Cléry-Frontenex, M. Peyssel, en gouverne jusqu’à 200. On lui prête dans la contrée l’art de multiplier à volonté les essaims, art très important dans un pays où existe encore l’usage barbare de faire périr l’essaim pour récolter le miel.

  1. Deutéronome, XXXII, 13; Psaume LXXXI, 17.