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que le jeune comte, cette nuit-là même, avait fait un faux pas dans l’escalier du Palais-Royal, en sortant de chez le régent, et s’était donné une entorse. Le lendemain, tous ses amis, alarmés des rumeurs qui circulent, courent s’informer de ses nouvelles et apprennent qu’il est retenu au fit par une blessure insignifiante. Il n’en fallait pas tant pour accréditer le récit déjà colporté par la ville, et qui bientôt, grâce aux chroniques secrètes, alla retentir jusqu’à la cour de Dresde.

Les chargés d’affaires du roi de Pologne avaient mission, à ce qu’il paraît, de lui raconter fort en détail cette partie de l’histoire contemporaine. Telles étaient les notes diplomatiques auxquelles se plaisaient ces cours galantes du XVIIIe siècle, et nous verrons Maurice lui-même, le futur vainqueur de Fontenoy, faire à ses heures perdues ce métier de chroniqueur. Nous sera-t-il permis de citer ici un échantillon de ces correspondances édifiantes? M. le comte de Hoym, représentant de Frédéric-Auguste auprès du régent, après avoir rapporté au roi l’aventure du 24 décembre, complète son récit par des détails où se reconnaissent les commentaires et les enjolivemens des on dit parisiens. La princesse de Conti, dans ses explications avec le prince, lui aurait confié, « sous le sceau du secret, » qu’elle avait sept moyens de le tromper. Les six premiers, elle les indique franchement, loyalement, avec toute la précision désirable. « Quant au septième, ajoute-t-elle en vraie fille de la régence, je ne vous le dirai pas, car c’est celui dont je me sers. » Nous voyons par les archives de Dresde que le roi de Pologne conçut un vif désir de connaître ces six moyens, et aussi le septième, s’il était possible. Il chargea le comte de Manteuffel, son ministre des affaires étrangères, d’envoyer à ce sujet des instructions spéciales au comte de Hoym. L’ambassadeur eut beau se mettre en campagne, il ne put satisfaire la curiosité du roi. « Il serait difficile, écrit-il au ministre, d’en savoir davantage là-dessus, à moins d’avoir été, comme on dit, dans la bouteille. » Noble style, et bien digne du sujet! En voyant un personnage officiel publier de telles misères, sans crainte de blesser le souverain dont les ancêtres sont ici en cause, on ne peut s’empêcher de remarquer combien la moralité publique s’est élevée, car ce n’est point sans doute par indifférence que cette publication a été autorisée, c’est par un sentiment très digne de la responsabilité personnelle et un respect scrupuleux de la vérité historique. L’auguste maison de Saxe sait bien que le jugement des choses présentes, en ce qui la concerne, ne dépend pas du jugement des choses passées. A chacun selon ses œuvres, c’est la loi du monde nouveau. Il faut estimer ce fier sentiment de soi-même joint au respect des droits de l’histoire, mais il faut ajouter en même temps : Heureux les règnes dont les documens se-