Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il serait intéressant de le savoir; malheureusement les archives saxonnes n’en disent rien. Nous apprenons seulement par les effusions inaccoutumées du roi, par la vivacité de ses félicitations et de ses remercîmens, combien l’affaire lui tenait à cœur. Voici ce qu’il écrit au comte de Saxe le 24 avril 1724 : « Je ne puis vous exprimer combien je suis satisfait de la manière dont vous vous êtes acquitté de la commission que je vous avais donnée. Vous vous y êtes conduit avec toute l’adresse et toute l’habileté imaginables. Soyez sûr aussi que je vous tiendrai compte du zèle que vous m’avez témoigné dans cette rencontre et que je vous donnerai des preuves de ma reconnaissance. »

Quelques semaines après, Maurice est à Londres, où il est descendu incognito chez un gentilhomme piémontais de ses amis, M. le marquis des Marches. Encore un voyage mystérieux. Il écrit au roi de Pologne qu’il est allé en Angleterre pour y acheter des chevaux; au ministre saxon, M. Lecoq, il dit simplement que, se trouvant à Amiens avec son régiment, il n’a pu résister au désir de passer quelques jours à Londres, mais qu’il compte bien ne voir personne de la cour, n’ayant d’autre costume que ses habits de voyage. Lecoq insiste pour le présenter au roi : il est admis en effet, le 23 mai, dans le cabinet du prince, qui s’entretient une demi-heure avec lui. C’était ce même George Ier, ancien électeur de Hanovre, dans le palais duquel avait été assassiné, trente ans auparavant, l’oncle de Maurice, Philippe de Kœnigsmark. Qu’on ne s’étonne pas trop de voir le comte de Saxe rendre visite au souverain dont le nom seul devait évoquer chez lui de si tragiques souvenirs. Outre que le souvenir, en bien des cas, est interdit aux personnages de cour, surtout à ceux qui, comme le brillant et léger Maurice, ont leur fortune à faire, le fils d’Aurore de Kœnigsmark a toujours vu dans l’électeur de Hanovre, devenu roi d’Angleterre, un prince doux, inoffensif, fatalement mêlé à un crime dont il ne pouvait être responsable. L’époux de Sophie-Dorothée n’était pas encore prince régnant de Hanovre en 1694, à l’époque de l’assassinat de Philippe de Kœnigsmark; c’était surtout son père, le duc Ernest-Auguste, qui, enveloppé dans les intrigues de l’altière comtesse de Platen, était devenu bon gré, mal gré, le complice de ses fureurs. Maurice de Saxe vit donc le roi d’Angleterre; il parut plusieurs fois à la cour, fut invité aux chasses de Windsor, et produisit partout la plus heureuse impression. Quand il partit le 1er juin, le ministre saxon à Londres, Lecoq, écrivait à ses chefs : « On lui a trouvé une politesse infinie jointe à un naturel admirable, une figure aimable, un sens juste, une conversation déliée sans affectation et sans envie marquée de plaire. Ceux qui connaissent le roi notre maître ne pouvaient se lasser d’indiquer des ressemblances. » M. de Fabrice, représentant du