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Hanovre, écrivait de son côté au comte de Flemming : « Je puis dire que tout le monde, hommes et femmes, s’est empressé de lui faire honnêteté, les uns à cause de sa naissance et des agrémens de sa personne, les autres sur sa réputation... »

Revenu en France, le comte de Saxe se plonge de nouveau dans le tourbillon parisien pour tromper l’activité de son esprit; il est manifeste pourtant que ces dissipations ne sauraient remplir sa vie. Soit que les dernières paroles de la mère du régent lui aient laissé un aiguillon dans le cœur, soit que, par un effet naturel, il ressente enfin l’ennui et le dégoût des plaisirs, il a parfois des cris de l’âme que n’ont pas connus ses historiens, et qui nous sont révélés aujourd’hui par ses lettres. Le 15 septembre 1724, étant à Fontainebleau avec la cour, il écrit à un gentilhomme saxon, M. de Lagnasco, qui venait d’arriver en Italie : « Comment vous trouvez-vous à Rome? J’espère qu’une fois en votre vie vous aurez chaud, chose que vous souhaitiez toujours

Dans nos climats glacés où la nature expire.


Mais non, ce n’est pas la nature qui expire ici : ce sont les sentimens, la vérité, la reconnaissance et toutes les autres qualités qui rendent la vie agréable et honorable. » Où est-elle pour lui cette vie complète, la vie agréable et honorable tout ensemble? Bans les camps, parmi les soldats, au milieu de ces combinaisons de la stratégie qui fournissent à l’esprit et au corps un exercice perpétuel. Ah! vienne donc enfin le jour de l’action ! Si l’heure tarde trop à sonner, il ira de Paris à Dresde et de Dresde à Paris, mêlé à toute sorte d’affaires, d’intrigues, tantôt entraîné à de folles dépenses pour éblouir la cour de Louis XV et de Marie Leczinska, tantôt essayant de disputer au comte de Flemming une part de l’autorité qu’il a prise sur le roi de Pologne, tantôt enfin écrivant ses mémoires (1725) et se vengeant de ses déconvenues à Dresde par ce portrait si ferme, si net, si vivant, du comte de Flemming, portrait à la Saint-Simon, c’est-à-dire impartial et terrible : « Il est homme de condition et brave, très laborieux, d’une ambition démesurée, le plus méchant homme qu’il y ait sous le ciel, aimant peu les honnêtes gens, implacable ennemi, ne se souciant point par quelle voie il arrive à ses fins, pourvu qu’il arrive, brutal comme un cheval de carrosse, pillant à prendre cent ducats, sans être naturellement avare, un peu fou, donnant dans la chimère... »

Quelles étaient donc ces chimères où pouvait donner, selon l’expression de Maurice, l’esprit si positif et si âpre du comte de Flemming? Je crois saisir ici une allusion à une rivalité nouvelle qui va diviser une fois de plus le ministre et le fils illégitime du roi de Pologne, mais où l’homme d’action, cette fois du moins, l’empor-