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de Prusse : « plutôt que d’épouser un prince de Brandebourg, elle aimerait mieux, disait-elle s’enfermer dans un cloître. » Elle ajoutait : « Ou je recevrai un mari des mains du roi Auguste, ou bien je ne me remarierai jamais. » L’amie lui dit alors, car nous avons ses paroles mêmes transcrites par le diplomate saxon dans une dépêche du 29 septembre 1725 : « Des princes de Saxe, je ne sais pas qui pût vous convenir; mais des comtes de Saxe, j’en sais un qui serait votre fait à tous égards; il ne serait pas difficile d’en faire un prince de l’empire. » Là-dessus s’engagea une conversation où le portrait de Maurice fut si vivement tracé que la grande-princesse, selon l’expression de Lefort, « avait déjà son jawort (son oui) tout prêt. » Par une coïncidence trop singulière pour que les hommes, c’est-à-dire les femmes, n’y aient point quelque part, les seigneurs courlandais jetèrent aussi les yeux sur Maurice peu de temps après l’entretien que nous venons de rapporter. Quatre délégués de la noblesse, MM. de Makel, de Karp, de Korff et de Keyserling, conçurent, dit-on, la pensée de faire donner le duché de Courlande au comte de Saxe, et, Maurice étant arrivé à Varsovie au mois de décembre, ils se rendirent auprès de lui pour traiter l’affaire immédiatement. On s’entendit au mieux de part et d’autre; Maurice, engagé d’honneur auprès des seigneurs courlandais, promit de braver tous les périls pour réaliser leur espérance et d’entrer sur l’heure en campagne.

Il y entra peut-être un peu trop vivement. Son mariage avec Anna Ivanovna lui aurait assuré la couronne qu’il convoitait; un autre mariage, qui lui promettait mieux encore, donna bientôt un nouveau cours à son ambition. La princesse Elisabeth, une des filles de Pierre le Grand, entrait alors dans sa seizième année, et le diplomate Lefort, avec sa verve de combinaisons et d’intrigues, avait eu l’idée de la substituer à celle-là même dont le oui disait-il, était déjà tout prêt. Il y voyait mille avantages. Nul doute que le comte de Saxe ne préférât cette vive et belle fille à la duchesse de Courlande, déjà veuve et plus âgée que lui de quelques années. L’amour pourrait bien se mettre de la partie et faire marcher les choses plus lestement. Il envoya donc à Maurice ce portrait de la princesse Elisabeth.


« C’est une blonde qui n’est pas aussi grande que sa sœur[1] et qui incline à devenir plus puissante. Elle est d’ailleurs bien faite et d’une belle moyenne taille: un visage rond fort gracieux, des yeux bleus remplis de jus de moineau[2], le teint beau et belle gorge. Pour l’humeur et les inclinations, elles sont bien différentes de son aînée; c’est un esprit extrêmement

  1. Anna Petrovna.
  2. Il est bon de rappeler ici que nous ne faisons pas une traduction ; nous citons le texte de Lefort, dont les dépêches sont souvent rédigées en français.