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terme inattendu et violent de sa longue existence, travaillée à son insu par les fermens de dissolution qu’elle portait en elle, s’étourdissant à force de plaisirs, d’arbitraire, de luxe coupable, déifiant les danseuses, adorant la prostitution assise sur un bras du trône, commençant cette étrange et élégante danse macabre qui devait tourbillonner jusqu’à la place de la Révolution, — la vieille société française fut tout à coup prise de désirs bucoliques, et elle suivit aveuglément le cri de ralliement poussé par Rousseau : « Revenons à la nature ! » Certes, en parlant ainsi, Jean-Jacques croyait indiquer le moyen de salut, et il ne s’apercevait pas qu’il ne faisait que constater un symptôme. Ce goût nouveau revêtit le caractère affecté qui convenait à l’époque : ce ne fut que bergeries, enthousiasme pour les vallons solitaires, imitation de pastorales, églogues et géorgiques. Je ne veux point dire que nous en soyons revenus à cet état à la fois plein d’ostentation et de misère qui précède les cataclysmes ; cependant on peut confesser que l’heure où nous vivons est dure, et que, sous des apparences qu’elle s’efforce de rendre aimables, elle cache de pénibles réalités et des douleurs poignantes. Nous sommes bien vieux, nous sommes bien las ; nous avons été trompés ou déçus si souvent que nous ne croyons plus guère aux hommes ; les principes les plus élevés se sont changés en intérêts mesquins entre les mains de ceux qui devaient les appliquer ; nous sommes forcés de tourner dans le cercle étroit où les circonstances nous renferment violemment, nous voulons nous échapper à tout prix, conquérir, à défaut d’autres, la liberté de notre individualité ; nous usons de l’un des derniers droits qui nous aient été laissés, le droit à la solitude, et nous allons interroger la nature, nous perdre dans son sein, nous baigner dans ses effluves, et réclamer d’elle une paix que nous ne trouvons ni en nous ni autour de nous. L’art nous suit dans cette voie douloureuse, pleine de défaillances, et les peintres, obéissant instinctivement à la tendance générale, deviennent presque tous des paysagistes. Et puis l’espèce de panthéisme vague et consolant que les écoles socialistes modernes ont promulgué n’a-t-il pas appris aux artistes que Dieu est partout, dans l’arbre comme dans l’homme, dans l’animal comme dans la plante ? Aussi le paysage autoritaire et rectiligne a disparu, et l’on se contente aujourd’hui de copier ou d’interpréter un site agréable, certain d’y rencontrer des beautés naturelles supérieures aux beautés de convention qu’on exigeait jadis. La facilité, la rapidité des communications ont encouragé les peintres à des voyages lointains et curieux qui leur étaient interdits autrefois ; la nature n’a plus de secrets pour eux : l’Egypte, le Sahara, sont à nos portes, et chaque exposition fait passer sous nos yeux les archives plastiques de l’univers entier. Les découvertes scientifiques modernes sont aussi venues