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maîtres, à l’abri, boivent sans doute l’eau-de-vie de grain et se chauffent au feu de tourbe. Tristes et courageux, les petits chevaux velus se sont serrés les uns contre les autres pour trouver un peu de chaleur ; sur leurs yeux, ils ont fait retomber leur longue et rude crinière, ils ont tourné leur croupe à la rafale, et patiemment ils attendent, en rêvant avec une résignation mélancolique à la litière de l’écurie, à l’orge de la mangeoire, au foin du râtelier. Si Voltaire les avait vus, il n’aurait point manqué de dire encore : « Pauvres animaux ! sans doute dans le paradis vos ancêtres ont mangé de l’avoine défendue ! » La brosse, ferme sans dureté, large sans mollesse, a su donner à cette toile une coloration désolée, blanche et grise, qui est d’un bon effet. Les peintres doivent chercher à produire instantanément pour ainsi dire, avant que l’on ait eu même le temps de reconnaître le sujet qu’ils ont interprété, une impression gaie ou triste par l’harmonie dominante de leur coloris : c’est à cela qu’excellait Eugène Delacroix ; c’est une qualité qui peut s’acquérir par l’étude et par la réflexion, et je la constate avec plaisir chez M. Schreyer. Elle ne fait point non plus défaut à M. Magy, qui, par un Convoi de moissonneurs dans un défilé de l’Atlas et par le Chevrier de Ben-Acknoun, prouve qu’il n’ignore pas le maniement des couleurs. J’aime peu cependant sa manière matérielle de peindre : elle n’a point de relief, elle est trop plate en un mot, et comme si elle procédait à la détrempe. Il me paraît probable que M. Magy a intentionnellement négligé le paysage, qu’il a traité avec trop de sans-façon, pour donner plus d’importance aux figures, qui sont assez vivantes et ne manquent point de vérité dans le mouvement. Les types ont été consciencieusement étudiés ; celui du chevrier particulièrement ne mérite que des éloges. L’allure de ce jeune pâtre arabe qui, en chantant et en suivant ses chèvres, descend un sentier rapide, est fort habilement rendue ; la lumière, claire sans être criarde, marie par des tons très doux la terre verte et le ciel bleu. Était-il bien nécessaire de sacrifier les accessoires, c’est-à-dire les terrains, les aloès, les nopals, et fallait-il leur donner une exécution molle pour faire valoir les personnages ? Je ne le crois pas : tout se tient dans la nature et forme un ensemble ; les lignes d’un rocher sont aussi nettes, aussi précises que celles de l’homme qu’il supporte, et affaiblir intentionnellement les premières pour renforcer les secondes, c’est les mettre en désaccord et détruire bien souvent les rapports harmonieux qui existent entre elles. Je sais que, pour expliquer cette différence dans la manière de rendre un terrain et une figure placés sur le même plan, les peintres s’appuient sur des exemples tirés de la photographie : mauvaise raison, car les flous que l’on remarque souvent dans les épreuves daguerriennes sont dus à la disposition même de l’objectif, qui déforme