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méditant sur l’avenir. L’expression cependant, j’insiste sur ce point, n’a rien d’exagéré, le style n’est point un style de convention ; en un mot, M. Breton n’a point voulu ennoblir son sujet : il l’a représenté tel qu’il a dû le voir, et peut-être tel qu’il l’a surpris. Les paysans, principalement les gardeurs de bestiaux, habitués à vivre seuls, sont des rêveurs. À force d’être au milieu de la nature, ils finissent par lui emprunter quelque chose de sa grandeur et de son mystère. Ce sont d’actifs inventeurs de légendes ; tout berger est sorcier : pendant qu’ils gardent leurs troupeaux, ils se racontent de belles histoires, et parfois, les yeux attachés sur quelque point invisible de l’espace, ils s’absorbent dans des songeries, immobiles et comme pétrifiés. Dans ces courts instans, leur visage revêt une beauté supérieure qu’illumine l’animation des yeux, et que fixe la rigidité des traits. Si un artiste curieux et en quête de la beauté passe en ce moment, il est saisi par l’aspect de cet être nouveau, pour ainsi dire régénéré, qui frappe ses yeux ; il en emporte le souvenir, et compose un tableau qui reproduit l’impression qu’il a reçue. Je serais bien étonné si M. Breton n’avait point procédé ainsi pour sa Gardeuse de dindons, qui témoigne d’une émotion profonde et la communique au spectateur. En la peignant, M. Breton a peut-être un peu abusé des tons criards de la lumière frisante qui lui sont familiers, et qui, s’ils donnent un modelé vigoureux au personnage, ont l’inconvénient de l’éclairer par une sorte de lumière sous-cutanée dont la transparence n’est point toujours d’un heureux effet.

Ce n’est point positivement parmi les héros de la vie rustique que M. Hamon va choisir ses modèles. Amoureux d’allégories enfantines qu’il pousse parfois jusqu’au rébus, il cherche avant tout la grâce et tombe souvent dans l’afféterie. Ses compositions ont presque toujours quelque chose d’inquiet, de troublé, de vaporeux, comme si elles avaient été aperçues à travers les voiles indécis d’un rêve. Les formes rondes qu’il affectionne, son coloris, tenu habituellement dans la gamme des tons tendres et faux tels que le lilas, le rose de chine, la cendre verte, donnent à tous ses tableaux une certaine uniformité qui semble voulue et cherchée à plaisir. On dirait que M. Hamon, dont l’esprit à coup sûr est fertile et très ingénieux, est un peintre de trumeaux du temps de la Pompadour égaré dans notre siècle. Il eût excellé à décorer le boudoir des petites maîtresses d’autrefois ; sa jolie peinture se serait fort bien accommodée de la poudre à la maréchale, et n’aurait point été déplacée à côté d’un bonheur-du-jour en bois de rose sur lequel on a oublié Angola. — L’Aurore de M. Hamon n’a rien d’emphatique ; elle ne ressemble en rien à la déesse pompeuse que quatre chevaux traînent au plafond du palais Barberini, et qui passe pour le chef--