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sous des tapisseries de haute lisse, la duchesse de Guise, vêtue de velours et de crêpe noirs, est assise ; devant elle, le futur Balafré, habillé de drap noir, est debout. La mère a posé une main sur l’épaule de son fils, et de l’autre elle lui montre un tableau qui représente Henri de Lorraine au moment où Poltrot,


..... Choisissant
Lieu pour son adventage,
Le recognoist passant,
Et le trousse au passage,


ainsi que disait la vieille chanson huguenote de ce temps-là. Par un mouvement très naturel, l’enfant a saisi l’épée de son père, posée sur un coussin de velours noir à côté de la couronne ducale. Les deux visages, de profil et placés l’un près de l’autre, sont tournés vers ce tableau funèbre et entraînent forcément l’attention du spectateur vers le même objet ; les têtes blondes de la mère et du fils se côtoient, et, loin de se nuire, semblent plutôt se compléter l’une par l’autre ; l’expression de regret et de menace est telle qu’on la peut souhaiter. Les détails sont traités avec un grand soin et un souci d’exactitude qui cependant ne dégénère pas en minutie archéologique. Une adroite sobriété a repoussé tous les accessoires inutiles ; j’aurais voulu cependant qu’elle fût assez sévère pour supprimer une chaise inutile, d’un dessin carré et désagréable, que j’aperçois à gauche, près de la table couverte d’un velours rouge. — En finissant, je dois féliciter M. Comte d’avoir su se débarrasser promptement des tons bistrés et bitumineux qui, destinés à noircir en vieillissant, dépareront la plupart des tableaux de son maître, M. Robert Fleury.

Il est un ancien poème rustique et populaire que connaissent bien les artistes :


La rime n’est pas riche, et le style en est vieux,


mais il y règne une naïveté charmante qui s’en échappe comme un parfum de vérité. Jésus-Christ s’habille en pauvre ; il demande à recueillir les miettes de la table ; on lui répond qu’elles seront mangées par les chiens, parce qu’ils rapportent des lièvres, et que lui, il ne rapporte rien. Il avise la maîtresse de la maison à sa fenêtre, et il implore sa charité. « Ah ! montez, montez, bon pauvre, — avec moi vous souperez ! » Lorsque le repas est fini, le pauvre fatigué demande à dormir. « Ah ! montez ! montez, bon pauvre, — un lit frais vous trouverez. — Comme ils montaient les degrés, — trois anges les éclairaient. — Ah ! n’ayez pas peur, madame, — c’est la lune qui paraît ! » Puis, comme il faut une moralité à toute chose, même aux chansons, Jésus annonce à la dame charitable qu’elle mourra dans