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même avant le jour de l’exposition publique, de mettre en crédit le nom du peintre auprès des artistes placés alors à la tête de l’école française. Un de ceux-ci, dont la vie a été honorée par bien des traits de désintéressement et de rare équité, Ary Scheffer, n’hésita point à proclamer hautement l’estime où il fallait tenir ce talent et le respect dû aux doctrines qu’il représentait. Il était venu des premiers voir le Jésus dans l’atelier de Flandrin, et là, humiliant devant le jeune maître sa propre renommée, ses longs succès, tous les souvenirs de sa situation personnelle : « Ah! s’était-il écrié, que n’ai-je reçu, comme vous, les leçons de M. Ingres, ces leçons auxquelles il n’est plus temps pour moi de recourir! Vous savez, vous, et je ne sais pas. Mes tableaux ne laissent pressentir que des intentions et n’affirment rien; c’est ce que le vôtre me prouve bien par le contraste. » Il fit plus : à défaut des enseignemens radicaux qu’il ne se jugeait plus apte à recevoir, Scheffer voulut au moins, quant au perfectionnement de sa manière, mettre à profit les exemples que lui donnait Flandrin. Il étudia soigneusement ses ouvrages, rechercha ses conseils, et le traita jusqu’à la fin avec une déférence dont Flandrin d’ailleurs était homme à se troubler bien plutôt qu’à s’enorgueillir. Paul Delaroche, de son côté, ne lui marchanda pas davantage la justice et la sympathie ouverte. Enfin un artiste dont le nom, après celui de M. Ingres, se rattache de plus près qu’aucun autre au souvenir des premiers grands travaux et des succès de Flandrin, M. Gatteaux, s’entremit activement auprès de qui de droit afin d’obtenir pour un pareil talent les tâches les plus propres à en consacrer l’autorité et à en démontrer pleinement les mérites. C’est grâce à lui que le peintre de Saint Clair et de Jésus fut chargé d’orner la Chapelle de Saint-Jean, à Saint-Séverin, et, un peu plus tard, le chœur de Saint-Germain-des-Prés.

On sait les résultats de cette double entreprise, et comment, dans les autres travaux de décoration monumentale qui suivirent, dans les peintures de Saint-Paul de Nîmes et de l’église d’Ainay, à Lyon, Flandrin acheva de mettre en lumière les qualités de son imagination, la pureté de son goût, la certitude de sa manière. On sait surtout avec quel singulier mélange d’ampleur dans la composition et de chaste élégance dans le style, avec quelle incomparable finesse de sentiment et de, pensée, il a réussi, sur les murs de Saint-Vincent-de-Paul, à diversifier les apparences de la ferveur, à varier l’expression de la béatitude commune à tous les personnages représentés, sans compromettre l’unité de l’ordonnance prescrite par le sujet même aussi bien que par les conditions architectoniques du champ livré au pinceau. Jamais en France les lois de la peinture religieuse appliquée à la décoration d’un édifice n’avaient été aussi