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le maître qui l’avait formé? » M. Sainte-Beuve, racontant dans Port-Royal la vie de Le Nain de Tillemont, parle des sentimens de tendre reconnaissance voués par ce saint et savant homme à M. Walon de Beaupuis. «qu’il regardait comme son vrai père en Dieu. » Il nous dépeint comme le type du parfait élève, comme un modèle accompli de l’humilité enfantine, en toute circonstance et à tout âge, cet « élève fidèle, cet élève-vieillard, et toujours en robe de lin. » Hippolyte Flandrin, à son tour, a gardé dans les formes de sa gratitude envers son maître une modestie aussi obstinée, une virginité de respect que ni les succès personnels, ni les justes louanges, ni les séductions d’aucune sorte ne devaient un seul moment compromettre. Bien peu de jours avant sa mort il écrivait à M. Ingres ou il parlait de lui dans ses lettres à ses amis avec la même déférence et en employant les mêmes termes que lorsque, plus de trente ans auparavant, il rendait compte à son père et à sa mère des premiers enseignemens donnés par celui qu’il « ne pourrait jamais ni assez admirer, ni assez aimer. » Et tandis qu’il demeurait ainsi à ses propres yeux l’élève, l’élève seulement d’un grand artiste, tandis qu’il rabaissait si naturellement son rôle à celui d’un néophyte introduit dans le sanctuaire, où il ne serait pas entré spontanément, avec quel empressement, avec quelle simple bonne grâce n’élevait-il pas jusqu’à lui des talens cent fois inférieurs au sien ! Comme il savait, lui si peu confiant en lui-même, si timide en face d’un éloge à subir ou d’un impôt purement mondain à acquitter, comme il savait rassurer et convaincre quiconque avait besoin d’un avis, d’un encouragement, d’une marque de sympathie!

L’affectueuse égalité que Flandrin cherchait à établir entre lui et les hommes qui l’approchaient, cette bienveillance dont il honorait chacun sans distinction de mérite, de situation, d’âge même, cette charité enfin, dans le sens le plus chrétien du mot, a pu étonner quelquefois ceux qui n’en ont reçu les témoignages que de loin en loin. Qui sait? Peut-être n’en a-t-on pas toujours deviné les vraies causes et reconnu en toute occasion la parfaite sincérité. Nous ne pardonnons guère aux personnages éminens de nous rappeler trop volontiers, de marquer trop précisément la distance qui les sépare de nous : ne nous arrive-t-il pas de nous accommoder aussi mal de l’oubli qu’ils semblent en faire et d’attribuer encore à l’orgueil les efforts tentés par eux pour se mettre à notre niveau? Flandrin, dans ses rapports avec autrui, se sacrifiait si complètement, même vis-à-vis de ceux qu’il lui appartenait de traiter en protégés, il se comportait si bien comme s’il avait affaire à des supérieurs ou tout au moins à des rivaux, qu’il était difficile, j’en conviens, de ne pas soupçonner d’abord au fond de cette abnégation excessive un cer-