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Il serait facile de multiplier les citations et de recueillir, dans bien d’autres lettres encore, la preuve des inquiétudes croissantes qu’inspiraient à Flandrin les théories nouvellement exposées et les moyens employés pour les mettre en pratique. Ce que nous venons de rapporter toutefois montre assez avec quelle chaleur d’âme et dans quel ferme langage cet homme, si réservé d’ordinaire, savait déclarer et soutenir ses opinions, là où il jugeait en péril des intérêts qu’à tous les titres il lui appartenait de défendre, ou des doctrines que dans sa pensée il ne séparait point de ses devoirs. Non content d’adresser presque chaque jour à ses confrères de l’Institut ou à ses amis l’expression des vives préoccupations qu’entretenaient en lui les incidens successifs et la marche de l’affaire, il avait entrepris et mené à fin, sur le fond même de la question, un travail qu’il se décida ensuite à ne pas publier, « parce que, disait-il, M. Ingres ayant parlé, il semblerait outrecuidant d’ajouter quelque chose aux paroles de celui à qui tous peuvent donner le nom de maître, et dont l’autorité devrait être décisive. »

Cette correspondance et ces études, si différentes de celles auxquelles Flandrin avait espéré se livrer à Rome, ne lui laissaient guère le loisir de peindre. L’état languissant de sa santé, aggravé par la rigueur d’un hiver exceptionnel, ne lui aurait pas permis d’ailleurs de s’appliquer avec quelque suite à ses travaux habituels[1]. Il fallut même, sous peine de succomber à de nouvelles fatigues, renoncer à la pensée d’un voyage dans le midi de l’Italie et attendre à Rome ou le retour des forces perdues ou le surcroît d’une crise qui achèverait d’épuiser le peu qui restait. Un passage de la dernière lettre écrite par Flandrin indique sa résignation à ce sujet et ressemble aujourd’hui à l’expression d’un funèbre pressentiment : « Nous attendions que le beau temps revînt pour aller faire une visite à Naples et à Pompéi. Il est venu, mais notre projet a dû céder devant la maladie, et maintenant tout est incertitude. » — L’incertitude fut de bien courte durée. Trois jours après celui où cette lettre partait pour la France, Hippolyte Flandrin, atteint de la petite vérole, se couchait pour ne plus se relever. Une autre semaine s’était écoulée à peine que déjà il avait cessé de vivre (21 mars), et, le mois suivant, l’église de Saint-Germain-des-Prés, dont les murs déjà embellis par lui attendaient de son pinceau de nouveaux chefs-d’œuvre, cette église où il devait rentrer pour se remettre au travail, ne s’ouvrait plus que pour recevoir sa dépouille

  1. Les seuls travaux de peinture que Flandrin ait exécutés pendant ce dernier séjour à Rome, sont le portrait de son plus jeune fils, — portrait resté inachevé, — et deux études pour les compositions dont il devait décorer le porche de la nouvelle église de Saint-Augustin à Paris.