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mortelle. Elle abritait une dernière fois celui qui avait été si digne de faire son atelier du sanctuaire, et qui, après avoir tendu vers le beau et le divin d’un effort de plus en plus ardent, se reposait maintenant, au sein de l’idéal entrevu, dans la possession de ces clartés éternelles dont il avait su ici-bas deviner le foyer et s’approprier un reflet.


III.

La place qu’Hippolyte Flandrin doit occuper dans l’histoire de notre art national est, sinon une des plus éclatantes, au moins une des plus dignes de respect, car ce talent, issu d’une sensibilité exquise, a ses racines au plus profond de la conscience, sa sève, sa vie même dans la moralité intellectuelle de l’artiste et dans le développement continu de sa foi. L’expression de la sensibilité, voilà ce qui distingue les œuvres de Flandrin, à quelque ordre de sujets qu’elles appartiennent; c’est là ce qui en caractérise la physionomie et en détermine la valeur, bien plutôt que l’accent de la puissance, plutôt que l’empreinte de la force proprement dite. A ne considérer que l’originalité ou l’énergie dans l’invention, on ne saurait exhausser au niveau des maîtres souverains, comme Poussin, le peintre de la Chapelle de Saint-Jean, de la frise de Saint-Vincent-de-Paul, de tant d’autres compositions bien belles assurément, bien éloquentes, mais à l’éloquence desquelles la verve a une moindre part que l’onction de la pensée et du style. Poussin d’ailleurs représente dans l’art la raison absolue, l’esprit philosophique par excellence, et en même temps la fierté toute romaine, la mâle sobriété de son langage, rappellent ou annoncent certains chefs-d’œuvre littéraires dus à d’autres fermes esprits. Il est à la fois le Descartes et le Corneille de la peinture, tandis que s’il fallait, dans le domaine des lettres, chercher un analogue à la piété ingénue, au sentiment si tendre de Flandrin, c’est à un Lemaistre de Saci peut-être, mais à un Saci plus poète et plus châtié dans la forme, qu’il serait permis de songer.

Les droits de quelques hommes de génie une fois réservés, serait-on autorisé à mettre Hippolyte Flandrin au même rang que ces artistes à la volonté forte qui, comme Lebrun et David, s’emparent de leur époque, lui impriment le sceau de leur doctrine personnelle et régentent l’art contemporain tout entier, depuis les tâches les plus hautes jusqu’aux plus humbles entreprises? Flandrin n’a ni ces ambitions, ni cette influence. Il ne parle et n’agit qu’en son nom et à ses propres risques, pour exprimer ce qu’il a senti, pour traduire les pensées que son cœur lui suggère, non pour imposer