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aux autres des formules techniques ou pour étaler un système. Par les habitudes recueillies comme par les souvenirs qu’il résume, ce nom mériterait d’être rapproché de celui de Lesueur, et, tout en reconnaissant au peintre de la Descente de Croix et de la Mort de saint Bruno un don d’expression pathétique, des ressources d’imagination que le peintre moderne ne possède pas au même degré, il n’y aurait que justice à les honorer l’un et l’autre comme les représentans principaux, comme les seuls représentans même de la peinture religieuse en France.

Ce n’est pas, avons-nous besoin de le rappeler, que les tableaux sur des sujets sacrés aient, à aucune époque, fait défaut dans notre pays. Depuis le Jugement dernier peint par Jean Cousin jusqu’à la Sainte Geneviève de Doyen, assez de témoignages se sont succédé pendant les trois derniers siècles pour prouver à cet égard les coutumes traditionnelles et la fécondité de l’école; mais, dans cette multitude d’œuvres estimables souvent au point de vue du talent, très importantes quelquefois par la majesté de l’ordonnance ou par l’habileté de la pratique, combien en trouvera-t-on qui satisfassent aux conditions idéales du genre, qui expriment d’autres aspirations que la recherche de la vraisemblance, la dévotion plus ou moins scrupuleuse au fait purement humain? Les tableaux de Lesueur exceptés, et, — s’il est permis de classer Philippe de Champaigne parmi les maîtres appartenant à notre école, — sauf encore cet admirable ex-voto que Champaigne avait peint en mémoire de la guérison de sa fille, quels monumens citer où se manifestent l’émotion profonde de la pensée, la foi passionnée, l’amour et le pressentiment de l’élément surnaturel? L’art français dont personne ne contestera l’excellence dans la peinture d’histoire et dans le portrait, l’art français, en matière de peinture religieuse, soutiendrait beaucoup plus difficilement la comparaison avec les écoles étrangères. Son génie, si naturellement exact et méthodique, ses habitudes prudentes, lui interdisent en général les élans ou les spéculations du mysticisme. L’honneur est grand pour Flandrin d’avoir rajeuni à cet égard le souvenir d’une exception illustre et d’avoir renouvelé, à deux cents ans d’intervalle, quelque chose des exemples légués par Lesueur : avec cette différence toutefois que, si admirablement inspiré qu’il soit, le pinceau de Lesueur ne s’exerce que dans des cadres relativement restreints, qu’il ne nous a laissé que des tableaux, presque des esquisses, tandis que le peintre du XIXe siècle, en décorant de vastes murailles, a su donner à l’aspect de ses travaux l’ampleur exigée par la tâche même aussi bien qu’une correction achevée. Il a fait acte de peintre religieux et de peintre profondément savant dans des occasions où les artistes de notre école