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aux produits (thé et soie) que nous allons acheter sur les marchés où les importent l’Angleterre et la Russie; le reste provient de notre trafic direct avec les comptoirs établis en Chine et des affaires que font nos nationaux dans le pays même. C’est à Shang-haï que ces comptoirs ont leur principal siège. La position géographique de cette ville en a fait le centre du commerce dans l’extrême Orient. Les trois ports de Yang-tse-kiang, de Tche-fou, de Tien-tsin, le Japon, la province de Kiang-sou et une partie des districts de soie de la province du Tche-kiang, y font, comme autant d’artères, affluer la vie et le mouvement. L’aspect de Shang-haï a été souvent décrit, et il suffira d’en donner ici une rapide esquisse. La partie purement chinoise comprend une ville circulaire, entourée de murs, et des faubourgs qui s’étendent, au sud et à l’est, jusqu’au fleuve Whampoa. Un million au moins d’habitans, appartenant tous à la race jaune, se pressent dans cet espace relativement étroit, bâti sans ordre, et s’y s’entassent dans des maisons dont le rez-de-chaussée et l’unique étage semblent ne pas pouvoir les contenir. Dans les rues, c’est une fourmilière, et lorsque la chaleur y développe les miasmes qui s’exhalent de toutes parts, l’Européen s’enfuit, stupéfait de voir la foule des indigènes s’agiter et vivre dans une atmosphère aussi viciée. Au nord de la ville, et longeant la courbe du Whampoa, se déroulent les concessions. Près des murs est la concession française; plus loin, séparée de celle-ci par un étroit canal, la concession anglaise; au-delà, un terrain neutre porte, mais à tort, le nom de concession américaine, car les Américains, fidèles au principe de leur constitution, qui interdit les colonies, ont récusé toute prétention au protectorat de ce terrain.

Commerce is king, disent les Anglais, et ce pacifique roi Commerce s’est en effet créé à Shang-haï un petit royaume qui a mérité le nom de model settlement. C’est, sur un coin du globe, l’accomplissement des vœux de l’humanitaire qui rêve la fusion des peuples. On y voit une population mixte d’environ trois mille Européens et de cent cinquante mille Chinois vivre dans un ordre parfait sous la direction de quelques bourgeois et sous un protectorat qui s’efface autant qu’il le peut. Des légions de fonctionnaires n’amèneraient pas de résultat pareil dans les colonies. Un conseil municipal de cinq membres pour chaque concession, voilà tout le gouvernement. La durée de ses pouvoirs est d’une année; lorsqu’ils sont expirés, les locataires du sol (land renters)[1], de quelque

  1. Il n’est pas possible d’employer une autre expression que celle de land renters, les Européens ne pouvant pas, d’après les traités, acheter des terrains, mais simplement les louer à perpétuité. C’est une pure question de principe.