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occidentale, comment avait-on refusé l’occasion qu’offrait l’affaire danoise de faire agir l’alliance anglo-française ? La conduite passée et les déclarations présentes offraient donc un contraste bizarre et une contradiction inexplicable. On avait bien attribué, dans quelques cercles, l’attitude particulière de la diplomatie française à certaines préoccupations mystérieuses de rectification de notre frontière, du nord-est. Pour notre compte, nous n’avions point méprisé ces rumeurs, car elles reposent sur une revendication qui ne saurait s’éteindre dans la conscience de la France ; mais nous n’avons pas eu de peine à démontrer le peu de fondement des suppositions qui avaient cours à ce sujet. La France n’aurait pu obtenir la grande frontière, celle du Rhin, que par la guerre. Or en janvier dernier l’accord complet de la France et de l’Angleterre dans la question danoise aurait infailliblement contenu la Prusse et l’Autriche, aurait déterminé le règlement du conflit dano-allemand par les voies diplomatiques, et aurait par conséquent prévenu cette guerre qui peut nous rendre le Rhin. Quant à une petite rectification de nos limites, celle qui raccommoderait notre frontière sur le patron de 1792, nous avons montré qu’elle ne répond plus à un intérêt réel de notre défense depuis les grands travaux de fortification du règne de Louis-Philippe. Cette rectification, de l’aveu de tous, ne vaut point les chances et les frais d’une grande guerre ; on ne pourrait songer à l’acquérir que par des voies diplomatiques. Or quelle apparence d’obtenir pacifiquement un tel résultat dans les circonstances présentes, puisque c’est à la Prusse qu’il faudrait demander la restitution de Sarrelouis, et que de cette puissance à nous une semblable restitution aurait l’air du prix de notre abstention dans le conflit dano-allemand ? Ces suppositions étaient donc à la fois chimériques et injurieuses pour la France ; elles pouvaient, et nous l’avons clairement donné à entendre, défrayer uniquement les rêveries de ce que l’on a fort bien appelé une politique d’amateur.

Nous ne nous doutions guère, tandis que nous effleurions ainsi cette politique conjecturale, que nous mettions la main sur un nid de guêpes. Nous avons ému des journaux que nous ne savions point si chatouilleux aux subtilités diplomatiques. De droite et de gauche, les piqûres ont plu sur nous. Il paraît, pour changer d’image, que nous aurons sans le savoir proféré une parole d’incantation qui a réveillé tout un essaim d’esprits étourdis et bourdonnans. Le spirituel magicien que nous avons maladroitement dérangé nous a tout d’abord punis en nous enlevant notre identité et en nous condamnant à une métamorphose imprévue. Ce n’est pas nous qui avons parlé ; nous n’étions point capables apparemment de prononcer la formule magique. Ce sont deux hommes politiques chez lesquels nous avons le regret de ne pas fréquenter depuis bien des années, oserons-nous les nommer ? M. de Morny et M. Thouvenel, qui ont exprimé leur opinion par notre organe ; d’autres veulent qu’un grand orateur ait fait par notre intermédiaire