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LE PROCÉS DES CENCI D’APRÈS DES DOCUMENS NOUVEAUX.[1]


Quelques livres commencent à nous arriver de ces provinces méridionales de l’Italie qui étaient naguère comme une Chine européenne. Rien n’en sortait, sauf les meilleurs citoyens pour aller en exil. Aujourd’hui, sous un régime de liberté, on enseigne à Naples, on y écrit, sinon avec toute la maturité d’un peuple exercé dans les travaux de l’intelligence, du moins avec une ardeur juvénile qui n’a besoin que d’être réglée et de mieux écouter les conseils du goût.

De M. Tito Carlo Dalbono nous ne savons que ce qu’il lui plaît de nous apprendre, ce qu’il eût peut-être mieux fait de garder pour lui. Fonctionnaire public, il trouvait ses appointemens trop modiques, et il a donné sa démission ; libéral, il semble mécontent de la politique expectante qui prévaut en Italie ; catholique, il veut être impartial, sévère même, quand il parle de la papauté, et je le rangerais volontiers dans cette petite église dont M. Dondes Reggio, député de Sicile, tient le drapeau dans le parlement de Turin avec plus de constance que de succès. M. Dalbono nous offre un curieux exemple du mal que le despotisme fait aux générations. Trop récemment affranchi pour ne conserver point quelque chose de ses terreurs passées, il se croit héroïque, et il l’avoue ingénument, parce qu’il a osé dire quelques vérités un peu rudes au pape… Sixte-Quint ! Il ne semble se douter ni de la liberté que porte presque partout la critique dans l’étude de l’histoire du saint-siège, ni des progrès de l’esprit d’impartialité, grâce auxquels on cherche dans les vices inhérens au pouvoir temporel des circonstances atténuantes en faveur d’Alexandre VI par exemple et de ce même Sixte-Quint, que ses sujets, avec infiniment plus d’héroïsme que n’en peut montrer M. Dalbono, appelaient de son vivant il papa boia, le pape bourreau.

Le titre du livre n’est peut-être pas suffisamment exact. Nous n’avons point sous les yeux une histoire de Béatrice Cenci ou de sa famille, mais celle de la catastrophe finale qui seule, à vrai dire, l’a rendue célèbre dans la postérité. Tout le reste de cette vie de seize ans disparaît devant un procès de cette importance. C’est pourquoi M. Dalbono, y donnant toute son attention, a fait de son ouvrage, si l’on met de côté des hors-d’œuvre sur lesquels il faudra bien dire un mot, quelque chose comme l’impartial résumé d’un président de cour d’assises dans une cause célèbre. L’intérêt est donc tout entier dans l’exposition contradictoire des argumens de l’accusation et de la défense, dans le récit épouvantable et minutieux des tortures auxquelles furent soumis les accusés, et en particulier l’énergique, l’obstinée Béatrice, enfin dans les documens dont l’auteur a eu l’heureuse idée d’appuyer sa narration. Seulement il ne s’aperçoit pas que toute cette

  1. Storia di Beatrice Cenci e de’ suoi tempi con documenti inediti, par Carlo Tito Dalbono ; Naples 1864.