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D’où vient cet affaiblissement de la faculté poétique ? Cette génération de chanteurs superbes que nos pères ont tant applaudie a-t-elle donc épuisé toute verve et toute flamme que notre lyrisme aujourd’hui demeure si froid et si morne ? Nous sommes obligés de le confesser : ce qui reste en nous de chaleur et de vertu intellectuelle sert à nourrir d’autres énergies que celles qui font les poètes. La pensée, devenue trouble et inquiète, ne s’attache plus ces ailes d’or qui l’enlevaient aux magiques régions, elle retombe lourdement à la terre, enchaînée à la prose par les graves préoccupations qui la tiennent captive. Or le poète est comme l’orateur, il puise et retrempe sa force dans cet auditoire sympathique qui le couve de l’œil et de la pensée. Si le public détourne la tête et ferme l’oreille, sa voix hésite et languit ; ses accens ne ramèneront pas cette foule distraite qui s’en va à d’autres passe-temps ou à ses affaires. Celui-ci, un moment, s’est cru inspiré ; illusion ! Déjà l’éphémère a clos sa journée. Il suffit du vent qui passe dans les branches pour faire tomber cette feuille morte et cette poésie : ni la feuille ne tenait assez à sa tige, ni la pensée ou le sentiment n’était rivé assez solidement dans le vers pour vivre un instant de plus. Le génie, lui, tire de sa sève printanière des élémens de force et de durée ; mais l’imitation, — cette imitation à laquelle nous sommes aujourd’hui réduits, — qu’est-ce autre chose que le rameau sec et jauni qui regarde tristement le sol ? La poésie d’imitation peut, il est vrai, comme la végétation automnale, produire certains effets décevans de nuances et de couleurs ; mais on devine bientôt les faiblesses et les défaillances dont elle périra : les sucs y sont altérés et insuffisans, le soleil de l’inspiration n’y verse qu’un pâle rayon, qui encore n’est que réfléchi. Considérons les poètes qui naissent à l’heure présente : lequel d’entre ces rêveurs s’emparera de notre attention, jettera dans le vrai courant de la poésie, nos cœurs et nos facultés ? Auquel de tous ces volumes reviendrons-nous après l’avoir lu, comme on revient à un enchanteur dont on ne peut plus secouer le charme ? Est-ce à ce recueil de pièces lyriques que M. Catulle Mendès publie sous le titre de Philoméla. M. Mendès, qui possède un certain talent de versificateur, manque de l’haleine puissante qui fait les poètes inspirés ; il retombe volontiers d’un chant gracieux et coloré dans une strophe lourde, pénible et mal cadencée. Ces poètes sensuels et épicuriens, dont il veut rappeler la manière en quelques endroits, avaient des idées plus nettes et plus lucides, et par les pleurs ou le rire, exprimaient des sentimens vrais ; mais l’auteur de Philoméla surmène la langue et l’idée, et dans son ardeur juvénile se fatigue en de vaines voltiges. D’un autre côté, M. Mendès a été séduit par ces arabesques dont M. Théophile Gautier surcharge sa phrase poétique ; il se déclare, lui aussi, amoureux, amoureux à n’en plus guérir, de la forme et de la main-d’œuvre, et il s’essaie au métier de ciseleur patient et délicat. Cette muse un peu présomptueuse a besoin en réalité de tâtonner encore à l’écart pour se dégager et pour s’affermir.

En passant de M. Catulle Mendès à M. Armand Renaud, nous ne sortons pas