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réveillé en faveur du comte. Enfin je suis émerveillé de voir ce qui se passe. Il n’est non plus question de la Courlande que s’il n’en fut jamais. Chacun crie : mariage ! mariage ! Ce ne sont pas les partis qui manquent à la princesse Elisabeth, — jusqu’au duc Ferdinand qui a fait faire des propositions ! On se flatte que le génie du comte plaira infiniment au tsar ; il est chasseur, aime à monter à cheval, et beaucoup d’autres qualités qui sympathisent. »


Lefort, dans son dévouement pour Maurice, se faisait sans doute des illusions, non pas sur les sentimens de la princesse, mais sur les dispositions des puissans du jour. Manteuffel, en lisant ces dépêches de l’envoyé saxon, trouvait que l’ardeur de son correspondant l’empêchait de voir nettement les choses. « Lefort est trop sanguin, » disait-il[1]. D’ailleurs il consultait de son côté deux grands personnages de la cour de Russie et en recevait cette réponse « qu’il faudrait être fou pour conseiller pareille tentative au comte de Saxe. » Maurice lui-même, soit prudence, soit dégoût des fatigues et des déconvenues récemment essuyées, partageait cette opinion. « Je ne puis, écrivait-il, me risquer à de certaines démarches qui me donneraient du ridicule et me fatigueraient inutilement par l’ennui du séjour et par la longueur du voyage. Je vous dirai en outre que je ne suis pas du tout pressé de me marier, si je ne trouve toutes les convenances qui peuvent mettre les choses à couvert des événemens. » L’ennui du séjour, la longueur du voyage, qu’est-ce à dire ? Maurice avait bien su s’ennuyer à Mitau, devait-il s’ennuyer davantage à Saint-Pétersbourg ou à Moscou ? Ces mots se rapportent à un projet de Lefort, qui, pendant tout l’été de 1728, ne cessait de faire dire aux amis du comte de Saxe : « Tout va bien, nous réussirons, que le comte se tienne aux environs de Moscou[2] et soit prêt à venir ici au premier appel pour saisir l’occasion favorable. » En même temps il leur contait maintes anecdotes qui ne laissaient point de doute, à l’entendre, sur les sympathies de la princesse. « Le roi de Pologne ayant envoyé à Elisabeth un magnifique service de porcelaine (septembre 1728), une personne de son entourage lui dit : Voilà le premier présent que votre altesse ait reçu d’une tête couronnée. — C’est vrai, répondit-elle, mais j’aurais

  1. Zu sanguinisch.
  2. Depuis la chute de Menschikof, le parti russe, vainqueur du parti allemand, avait fait transporter la cour à Moscou, pour marquer le retour aux vieilles traditions nationales.