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son espoir dans ce fils qu’elle aimait tant. C’était à lui de venger les Kœnigsmark. L’orgueil de la grande dame et l’affection de la mère comptaient également sur la prospérité prochaine de Maurice. Il allait l’atteindre, cette couronne, et quand les ennemis se dressaient pour la lui disputer, quel cri, sorti de son cœur, avait retenti au cœur de sa mère : « Soyez tranquille, madame ! le vieux Kœnigsmark va revivre sous vos yeux ! » Et tout cela, sauf l’héroïsme de Maurice, s’était évanoui comme une fumée. Aurore de Kœnigsmark en mourut. Sa dernière parole, nous l’apprenons aujourd’hui par les archives de Dresde, fut pour son fils bien-aimé. On lui avait dit que les plaintes de Maurice contre le roi et ses ministres avaient eu de perfides échos à Varsovie ; une dernière fois encore, avant de mourir, elle essaie d’apaiser les ressentimens de son ennemi : « Si le comte de Saxe, écrit-elle à Flemming, s’est plaint comme on a voulu le dire, je supplie votre excellence de le pardonner à l’aiguillon de l’honneur et de l’ambition qui le piquait. » Et lui, que fait-il ? Pourquoi n’est-il pas auprès du lit de mort de sa mère ? Pourquoi la pauvre délaissée n’a-t-elle pas au moins son fils pour lui fermer les yeux ? Maurice était en Hollande, occupé de je ne sais quelle affaire, lorsqu’il reçut le funeste message. Il partit pour l’Allemagne, sans beaucoup d’empressement, à ce qu’il semble, puisqu’il n’arriva que vers le milieu d’avril dans le lieu où reposait la dépouille mortelle de sa mère. Le mois suivant, il est à Danzig, puis à Berlin auprès du roi de Pologne, qui faisait une visite au roi de Prusse. M. de Weber nous fait remarquer ici avec complaisance que Maurice, pendant les fêtes de cette réception, se lia d’une étroite amitié avec le prince qui devait être un jour Frédéric le Grand, et qu’il étonna les Prussiens par sa force, son habileté à la chasse, son adresse à tous les exercices du corps… Et pas un mot de sa douleur et de ses regrets ! Maurice ne pensait-il à sa mère qu’en ses heures de détresse ? Faut-il croire décidément que, né pour la guerre et les aventures, l’oisiveté lui était plus pernicieuse qu’à tout autre ?

L’oisiveté ! c’est là le tourment de Maurice. En 1729, nous le retrouvons établi à Paris, cherchant à tuer le temps, occupé de toute espèce de riens, achetant des chiens de chasse pour le roi de Pologne, souvent aussi méditant sur l’art de la guerre, inventant des machines, ou se plongeant tête baissée dans ses rêveries. C’est à cette époque, au commencement de 1730, qu’il vit mourir Adrienne Lecouvreur. Il est inutile de rappeler ici quelle part la célèbre tragédienne avait occupée dans l’existence de Maurice. Le spirituel historien de la régence, Lémontey, nous dit que le comte de Saxe, au moment de son arrivée à Paris, avait en son héroïsme sauvage quelque chose des allures de Duguesclin, de celui que les dames du