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XVe siècle appelaient le Sanglier. Quelle distance du XVe siècle au XVIIIe ! Le sanglier saxon, au milieu des reines du théâtre, est devenu un des types du mondain. Vainement son vieux général, le comte de Schulenbourg, lui a-t-il conseillé les vertus austères, l’amour de l’étude et la crainte de Dieu ; vainement lui a-t-il répété ces paroles viriles : « Soyez irréprochable dans vos mœurs, et vous dominerez les hommes. » C’était trop demander au fils du roi Auguste et d’Aurore de Kœnigsmark. Avec cette nature à la fois active et rêveuse, demi-française et demi-germanique, comment eût-il pu résister aux séductions d’un monde où l’idée de Dieu était absente, où l’idée du devoir était bafouée ? Les poètes chanteront ses faiblesses, Voltaire lui adressera la Défense du Mondain, « non-seulement comme à un mondain très aimable, mais comme à un guerrier très philosophe, qui sait… tantôt faire un souper de Lucullus, tantôt un souper de houssard[1], » et soixante ans après sa mort des plumes sérieuses glorifieront encore la douce école où les vertus sauvages du sanglier germanique se sont transformées à la française. « Sous l’enveloppe du Sarmate, Adrienne découvrit le héros et entreprit de polir le soldat… Comme au temps de la chevalerie, ses soins, sa tendresse, ses sages conseils, initièrent son ami aux connaissances aimables, aux vertus bienveillantes, aux mœurs choisies qui dans la suite le naturalisèrent Français autant que ses victoires. À sa douce école, l’Achille d’Homère devint l’Achille de Racine. Elle orna son âme sans l’amollir, et modéra ce qu’on remarquait d’extraordinaire et de singulier dans la tournure de ses idées. Elle lui fit connaître notre langue, notre littérature, et lui inspira le goût de la poésie, de la musique, de la lecture, de tous les arts, et cette passion du théâtre qui le suivit jusque dans les camps. On peut dire du vainqueur de Fontenoy et de sa belle institutrice, qu’elle lui avait tout appris, hormis la guerre qu’il savait mieux que personne et l’orthographe qu’il ne sut jamais[2]… »

Aimable et spirituelle apologie qu’on pourrait insérer à bon droit parmi les notes de la Défense du Mondain. Il y a pourtant le revers de la médaille, et, sans faire une homélie puritaine, il faut bien se demander comment de telles affections se dénouent. Est-il vrai que Maurice, à son retour de Courlande, allant chercher des. consolations chez sa belle institutrice, y ait trouvé le comte d’Argental établi sur le pied de la plus parfaite intimité ? Comment croire ensuite à la réconciliation qui aurait suivi cette scène ? comment y croire ou comment l’apprécier ? Ces va-et-vient de la passion et de la vanité,

  1. Voltaire, lettre à M. le comte de Saxe en lui envoyant la Défense du Mondain.
  2. Notice sur Advienne Lecouvreur. — Œuvres de Lémontey. 1829, t. III, p. 328-329.