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la guerre est dans les jambes, » principe, ajoute M. Duparcq, dont l’empereur Napoléon a fait de si merveilleuses applications ? N’est-ce pas lui qui a révélé ce fait, démontré aujourd’hui de nouveau par nos dernières guerres de Crimée et d’Italie, à savoir que la grande arme, l’arme terrible, victorieuse, c’est la baïonnette, et non pas la poudre ou le plomb ? « En tirant, on fait plus de bruit que de mal, et on est toujours battu… La poudre n’est pas si terrible qu’on le croit… J’ai vu des salves entières ne pas tuer quatre hommes, et je n’en ai jamais vu, ni personne, je pense, qui ait causé un dommage assez considérable pour empêcher d’aller en avant et de s’en venger à grands coups de baïonnettes et de fusils tirés à brûle-pourpoint. C’est là où il se tue du monde, et c’est le victorieux qui tue. » N’est-ce pas lui qui a protesté contre l’emploi des armées trop nombreuses, préférant cinquante mille hommes à cent mille, comme plus faciles à remuer, à tenir dans la main, à porter rapidement d’un point à un autre[1] ? « Ce ne sont pas les grandes armées qui gagnent les batailles, ce sont les bonnes. » N’est-ce pas lui enfin, qui, sans négliger les détails, a toujours mis au-dessus de tout — l’art de camper, l’art de se mouvoir, c’est-à-dire l’action, et encore l’action, et toujours l’action ?

Quoi qu’il en soit, ce qui nous intéresse ici bien autrement que le capitaine, c’est l’homme, c’est l’esprit ardent et songeur, c’est le duc détrôné de Courlande qui continuera pendant le reste de sa vie à poursuivre son royaume imaginaire. Les écrivains qui ont jugé les Rêveries du comte de Saxe comme un livre simplement technique n’étaient pas au vrai point de vue. Ce bréviaire du chef d’armée est surtout le commentaire des événemens de Courlande. On ne le comprendra tout à fait, j’ose le dire, qu’après la lecture des faits inconnus jusqu’ici et révélés par les archives saxonnes. Pourquoi ce chapitre intitulé : Description de la Pologne et projet de guerre pour une puissance qui se trouverait dans le cas de faire la guerre à cette république ? Pourquoi cette manière si vive d’intervenir à tout propos, de se mettre lui-même en scène, de dire : Je ferais, et bientôt ensuite je ferai ? Pourquoi ces affirmations qui ressemblent a des bravades ? « La conquête de toute la Pologne serait l’affaire de deux campagnes et ne coûterait pas un sou. » Il s’exprime encore au conditionnel ; un peu plus loin, il parle des fortifications en palissades dont les bois de la Pologne lui fourniraient les matériaux, et aussitôt l’y voilà installé. Ce n’est plus un projet ; il est à l’œuvre, il combat, il défie l’ennemi, la Pologne, l’Europe

  1. Il s’agit pour lui, bien entendu, des armées d’opération ; la nécessité des réserves est hors de cause.