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de sa vie aventureuse, par devenir une sorte de Tallemant des Réaux. Ne dirait-on pas qu’il veut faire rougir la Fortune de l’indignité où elle le réduit ? C’est le motif invoqué par Machiavel, lorsque, dans sa misérable villa de San-Casciano, déchu de son rôle politique et de sa généreuse ambition, il ne craint pas de s’attabler avec les rustres du grand chemin. Mais le soir, après ces journées honteuses, il l’a dit lui-même en termes pleins de grandeur, Machiavel jette là ses habits souillés de boue, et, vêtu de son costume de cour, il entre en son cabinet d’étude, au milieu de ses livres, en présence des sublimes esprits d’Athènes et de Rome, comme un ambassadeur dans un conseil de rois. Ainsi a fait Maurice aux heures de réveil moral, et cette inspiration l’a sauvé. Il lit Polybe, il y découvre sur plusieurs points la justification de ses Rêveries, il s’exalte à l’idée des grandes choses que sut accomplir la discipline romaine ; un esprit viril le soutient et le redresse. Ces lectures fécondes que lui conseillait Schulenbourg le préservent des derniers excès ; il s’en moquait naguère, il en sent aujourd’hui la vertu, et il en gardera la mémoire lorsque, prenant pitié de la condition du soldat en temps de paix, il se montrera si ardent à instituer des bibliothèques militaires. Le travail, la nécessité du travail continu, qui en a parlé plus pertinemment que ce désœuvré ? C’est ainsi qu’il a relevé le niveau moral des armées de la France dans une époque de mollesse ; c’est ainsi qu’il s’est trouvé prêt lui-même pour les occasions glorieuses. En 1740, la mort de l’empereur Charles VI est le signal d’une guerre européenne ; Maurice reparaît sur les champs de bataille, et s’il cherche encore sa couronne de Courlande « dans le brouillamini général » comme il l’écrit gaîment au comte de Brühl, c’est lui-même surtout qu’il cherche, c’est lui-même qu’il trouvera. Qu’importe que sa chimère lui échappe toujours ? Il sera l’homme de Prague, de Raucoux, de Lawfeld, l’homme qui, animé de l’esprit de la vieille France et le réveillant parmi nous, laissera comme une excitation et comme un noble héritage à la France nouvelle le souvenir de Fontenoy.

Ne vous souvient-il plus des jours de Fontenoy ?


C’est un des derniers cris de Voltaire, une quinzaine d’années avant 89.


SAINT-REN2 TAILLANDIER.