Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marbre formant talus de chaque côté. Sans doute la brouette eût été un moyen de transport plus expéditif, mais comment circulerait-elle au milieu des blocs de marbre amoncelés çà et là, dans un lieu éclairé à peine ? Cosi fan tutti, ainsi fait-on partout, me dit l’un des mineurs auquel je témoignai mon étonnement.

Attentif à tout ce qui se faisait, donnant ses ordres d’une voix brève et quelquefois sévère, un vieux surveillant, petit de taille, mais vigoureux, l’ispettore Niccolino, allait et venait, coiffé d’un bonnet phrygien qui annonçait un ancien marin. Il était vêtu de cette veste aux larges et nombreuses poches particulière à la Toscane, et qu’on appelle cacciatora ou veste de chasseur. Niccolino y entassait les paquets de cartouches destinés aux mineurs et tous les échantillons de marbre qu’il voulait montrer à son chef, le padrone ou directeur des travaux. C’est avec ce digne Génois, qui avait passé toute sa vie au milieu des marbres, que je visitai le Rondone. Marin, comme je l’ai dit, avant d’être carrier, Niccolino avait porté des marbres de la Rivière de Gênes en France et remonté le Rhône jusqu’à Arles. Aussi me parlait-il avec orgueil une espèce de langue franque que je ne comprenais guère mieux que son affreux patois de Gênes ; mais c’était là le moindre de ses soucis. Son père avait servi « dans les marbres, » comme il disait ; lui-même servait comme son père, et avait aussi poussé son fils dans le rude métier des carrières. Depuis 1806, cette triple génération de braves ouvriers était ainsi attachée au même établissement, et donnait raison à l’adage que « les bons maîtres font les bons serviteurs. »

Les marbres blancs, clairs ou ordinaires, dont on fait des chambranles de cheminée, des baignoires, des vasques de fontaine, des colonnes, des dessus de meubles ; les marbres bleus communs, dont on fabrique surtout des dalles et des carreaux pour parquets, des vases et des balustrades de jardins ; les marbres bleus fleuris, qu’on emploie de préférence pour l’ornementation, urnes, colonnettes, consoles ; enfin les marbres brèches, dont on fait essentiellement des colonnes ou des placages, — voilà ceux que l’on exploite communément à Seravezza. Est-ce à dire que le marbre statuaire y manque ? Non sans doute, et Carrare, qui avait eu jusqu’ici le privilège de fournir des blocs irréprochables pour statues, bustes ou bas-reliefs, n’est plus sans rivale ; les qualités jadis si vantées de ses marbres statuaires ne sont plus hors ligne dans l’estime des connaisseurs. Le premier rang semble désormais appartenir à Seravezza, et c’est aux flancs de l’Altissimo, à plus de 1,000 mètres de hauteur, qu’il faut aller chercher maintenant le marbre blanc pur de tout défaut et de toute tache.

Le statuaire de Seravezza est plus beau encore que celui de Carrare. Le grain est serré, homogène, cristallin, rappelant la cassure