Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hôtel de Carrare, qui étale dans la principale rue sa façade bariolée peinte aux trois couleurs de Savoie.

Un des plaisirs les plus vifs qu’éprouve le voyageur, quand il arrive dans une ville qu’il voit pour la première fois, c’est d’aller seul à la découverte. À Carrare, ce plaisir est encore augmenté par l’intérêt qui s’attache à l’industrie même des habitans ; tous sont carriers, marbriers ou sculpteurs. Les études vous arrêtent à chaque pas, portant sur une plaque de marbre, au-dessus de la large porte d’entrée donnant sur la rue, le nom du professeur. À côté des études sont les ateliers plus modestes des simples marbriers, ébauchant, dans le marbre blanc bleuâtre que le pays produit en si grande abondance, les baignoires, les mortiers, les vases, les balustrades et les statues de jardin. Les vibrations métalliques du ciseau d’acier résonnant sur la pierre frappent l’oreille à chaque pas, et parfois on entend aussi le grincement monotone de la scie glissant à travers un bloc qui interrompt le passage au détour d’une rue. La lame de fer, montée sur un châssis vertical que retiennent des cordes latérales, va et vient, manœuvrée par le scieur nonchalant. Bien que payé suivant la besogne faite, c’est-à-dire à tant le palme d’avancement, l’ouvrier ne se hâte guère. Il sait d’ailleurs que la scie descend lentement, de quelques centimètres par jour au plus. Avant tout, il aime ses aises. Si la pluie ou le soleil l’incommode, il dispose au-dessus de sa tête soit une tente, soit l’ombrello traditionnel, qui font dès lors partie intégrante du mécanisme fixé autour du bloc.

Aux environs de la ville, le spectacle n’est pas moins curieux pour l’étranger. À chaque moment, il rencontre des chars traînés par plusieurs paires de bœufs, souvent cinq et six à la fois, qui servent au transport des cubes de marbre. Ces lourds véhicules sont construits sans doute sur le même modèle que les chars étrusques de l’ancienne Luna, dont les habitans exploitèrent les premiers les carrières de ces localités. Les roues sont basses, massives, pesantes, à six rayons. Elles ressemblent à celles que Carrare porte sur son écusson, autour duquel se lit le vieux nom latin de la cité, civitas carrariœ, ou la ville des carrières. Les couples attelés, d’un pas tranquille et lent, promènent le bloc sur la route. Les bouviers vont et viennent, criant, piquant violemment de l’aiguillon les pauvres bœufs, qui n’en peuvent mais. Cependant la lourde masse continue à s’avancer péniblement, ballottée dans les profondes ornières. La route de ceinture que traversent ces chars, et qui relie la ville aux carrières, porte le nom caractéristique de via Carrareccia.

Quelques-unes des études de Carrare méritent de fixer l’attention, et les professeurs Lazzerini, Franchi, Pelliccia, Bonanni, sont cités