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porte le nom caractéristique de concha, parce qu’en cet endroit la vallée, partout fermée, présente la forme d’une conque. Le paysage est d’une désolante aridité : pas un arbre ne pousse sur ces calcaires dénudés ; on y distingue à peine quelques herbes, et ça et là quelques mauvaises cahutes en pierres sèches, servant de refuge aux ouvriers. L’agriculture n’a que faire ici. Jusqu’aux points les plus élevés sont étagées des carrières. La qualité partout exploitée est le marbre blanc clair ou ordinaire et le veiné passant au bleu. Il n’y a plus de statuaire. À Carrare, cette qualité se tient volontiers vers le bas des vallées, à l’inverse de Seravezza, où elle semble affectionner les hauteurs les plus inaccessibles. L’aspect que présente la concha est des plus animés ; il résume bien le spectacle auquel on a assisté tout le long du chemin en remontant le Ravaccione. Partout des carrières en exploitation : une armée d’ouvriers est occupée autour des blocs pour l’extraction, le sciage, la descente, le chargement. Quand vient midi, tous se réunissent fraternellement, au soleil en hiver, à l’ombre en été, pour faire en commun un frugal déjeuner. Il n’y a guère d’inimitié entre les ouvriers de deux carrières rivales, et quand souvent les patrons se jalousent ou se poursuivent dans des procès sans fin, les ouvriers, heureusement rebelles à l’usage, ne croient pas devoir prendre parti, dans ces querelles. Aussi bien le dangereux métier de carrier compte assez de victimes déjà sans qu’on aille encore ensanglanter les chantiers par des rixes meurtrières.

Au-dessus des ouvriers sont les chefs des travaux, sortes de tâcherons, qui se chargent d’ordinaire, pour un prix fixé d’avance, de l’extraction du marbre. Ils traitent ensuite avec les simples carriers, soit à la journée, soit à prix fait, épargnant ainsi au patron le souci des menus détails et des discussions interminables avec l’ouvrier. Le patron, propriétaire ou locataire de l’excavation, ouvre un compte-courant à son entrepreneur. Au crédit passe le nombre de palmes extraits, au débit figurent les avances faites en poudre ou autres fournitures et en argent. On traite généralement à tant le palme rendu au bord de la mer, à la marine de Carrare, et l’entrepreneur doit par conséquent s’occuper encore de l’engagement des bouviers.

L’exploitation du marbre est de beaucoup plus importante à Carrare qu’à Massa et à Seravezza. À Carrare, le nombre des ouvriers directement attachés aux carrières est de deux mille cinq cents environ. Un millier d’hommes sont en outre employés au transport, à l’expédition et à la mise en œuvre des marbres : bouviers, portefaix de la marine, scieurs, ouvriers des usines ou des ateliers, tailleurs de pierre, etc. On estime le montant de l’extraction annuelle à quinze