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la Gaule sa patrie, appelle Luna la ville aux blanches murailles, la « terre fertile en marbre, » — dives marmoribus tellus. Les environs de Luna méritent aussi bien que cette ville en ruine l’attention du voyageur. De vertes montagnes, véritable ceinture de vignes et d’oliviers, dominent une plaine riante. Traçant une courbe gracieuse, formant comme les anneaux disjoints d’une chaîne, de nombreux villages, perchés sur les hauteurs, semblent sortir du milieu des arbres. San-Niccolo, Ortonovo, Cassano, Castel-Novo, San-Lazaro, Ameglia, San-Marcello, entourent Luna disparue de sites vivans, et les clochers de leurs églises, leurs vieilles murailles percées de portes, se dessinent heureusement sur le second plan du tableau. Aux flancs d’une haute montagne se déroule comme un large ruban la route de Carrare à Modène, que le duc François V, qui n’aimait guère les Carrarais, mit tant d’années à construire. À droite, à l’horizon, se profilent les monts de Carrare, dont le Sagro, d’où descend la vallée de Colonnata, forme le point culminant. Au pied des montagnes est la ville même de Carrare, qui disparaît dans ses jardins d’orangers et de lauriers-roses. Çà et là se détachent les blanches façades des villas qui l’avoisinent, et, quelques vieux bourgs à mi-côte, comme Moneta. À gauche, dans un paysage enchanteur, s’étend la plaine de Sarzana. En se retournant vers la mer, on découvre l’embouchure de la Magra, barrée par les galets ; à côté se dresse le promontoire sévère du Corvo, dont les roches volcaniques d’un noir sombre se détachent vigoureusement sur l’azur de la mer et du ciel. Derrière le Corvo est le golfe de la Spezzia. Là sont encore des exploitations de marbres, parmi lesquels se distinguent ceux de Porto-Venere, si heureusement employés dans l’ornementation. Ils sont connus sous le nom de portor, qu’ils ont pris soit, par contraction, du lieu de leur provenance, soit des lignes dorées qui se détachent sur le fond noir et qui en font des marbres porte-or.

Tel est ce coin pittoresque de l’Italie qui s’étend entre la Spezzia et Pietra-Santa, en passant par Carrare et Massa, et dont le commerce des marbres a fait de tout temps la fortune. Aujourd’hui plus que jamais, avec l’établissement de l’unité italienne, la prospérité de ces heureuses contrées ira croissant. Les chemins de fer, les ports que l’on y établit, seconderont l’industrie locale, qui de plus en plus se développera. Les institutions libérales dont le Piémont a doté l’Italie viennent elles-mêmes favoriser ce progrès matériel, et cet exemple prouve une fois de plus tout ce que peut gagner la péninsule à vivre sous les mêmes lois.


L. SIMONIN.