Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incertains, des préventions malveillantes et de vives alarmes. Les chrétiens, de leur côté, ont peine à accepter le nouvel état social et à s’y faire ; ils sont à chaque instant choqués, irrités, épouvantés des idées et du langage qui s’y produisent. On ne passe pas aisément du privilège au droit commun et de la domination à la liberté ; on ne se résigne pas sans effort à la contradiction audacieuse et obstinée, à la nécessité quotidienne de résister et de vaincre. Le régime de la liberté est encore plus passionné et plus laborieux dans l’ordre religieux que dans l’ordre politique ; les croyans ont encore plus de peine à supporter les incrédules que les gouvernemens l’opposition. Et pourtant eux aussi ils y sont obligés, eux aussi ils ne peuvent trouver aujourd’hui que dans la discussion libre et dans le plein exercice de leurs propres libertés la force dont ils ont besoin pour s’élever au-dessus de leurs périls, et pour réduire, non pas au silence, ce qui ne se peut, mais à une guerre vaine, leurs acharnés adversaires.

Je sors de la société civile dans laquelle les diverses croyances religieuses sont aujourd’hui tenues de vivre en paix à côté les unes des autres. J’entre dans la société religieuse elle-même, dans l’église chrétienne de nos jours. Où en est-elle elle-même sur les grandes questions qu’elle a à débattre avec l’esprit humain libre et hardi ? Comprend-elle bien, conduit-elle bien la guerre dans laquelle elle est engagée ? Marche-t-elle au rétablissement d’une vraie paix et de l’harmonie active entre elle et la société générale au sein de laquelle elle vit ?

Je dis l’église chrétienne. C’est toute l’église chrétienne en effet, et non pas telle ou telle des églises chrétiennes, qui est maintenant et radicalement attaquée. Quand on nie le surnaturel, l’inspiration des livres saints et la divinité de Jésus-Christ, c’est sur tous les chrétiens, catholiques, protestans ou grecs, que portent les coups ; c’est à tous les chrétiens, quels que soient leurs dissentimens particuliers et les formes de leur gouvernement ecclésiastique, qu’on enlève les bases de leur foi. Et c’est par la foi que vivent toutes les églises chrétiennes ; il n’y a point de forme de gouvernement, monarchique ou républicaine, concentrée ou éparse, qui suffise à maintenir une église ; il n’y a point d’autorité si forte, point de liberté si large que, dans une société religieuse, elle puisse tenir lieu de la foi. Ce sont les âmes qui s’unissent dans une église, et c’est la foi qui est le lien des âmes. Quand donc les fondemens de leur foi commune sont attaqués, les dissidences entre les églises chrétiennes sur des questions spéciales ou les diversités de leur organisation et de leur gouvernement deviennent des intérêts secondaires : c’est d’un péril commun qu’elles ont à se défendre, c’est