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pleinement la foi chrétienne et acceptent sincèrement l’épreuve de la liberté.

Mais qu’en poursuivant leur pieux et salutaire travail, ces chrétiens libéraux ne se flattent pas d’un prompt ni complet succès : ils maintiendront, ils propageront la foi chrétienne, ils ne supprimeront pas au sein de la société l’incrédulité et le doute ; il faut qu’en les combattant ils s’accoutument à supporter leur présence ; le régime de la liberté est essentiellement mêlé de bien et de mal, de vérité et d’erreur ; les idées et les dispositions contraires s’y produisent et s’y développent simultanément. « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, disait Jésus-Christ à ses apôtres ; je suis venu apporter non la paix, mais l’épée[1]. » L’épée de Jésus-Christ, c’est la vérité chrétienne combattant l’erreur et l’imperfection humaines ; la victoire, mais la victoire toujours incomplète dans la lutte incessante, c’est la condition à laquelle doivent se résigner les défenseurs de la vérité chrétienne au sein de la liberté.

Si ces vaillans et intelligens champions de la foi chrétienne n’étaient pas accueillis et accrédités dans les églises auxquelles ils appartiennent ; si le catholicisme donnait lieu de croire qu’il est essentiellement hostile aux principes et aux droits essentiels de la société moderne, et qu’il ne les tolère que comme Moïse tolérait le divorce parmi les Juifs, « à cause de la dureté de leur cœur ; » si d’autre part les adversaires du surnaturel, de l’inspiration des livres saints et de la divinité de Jésus-Christ prévalaient au sein du protestantisme, qui ne serait plus alors qu’une philosophie hésitant à prendre son vrai nom, si toutes ces mauvaises chances venaient à se réaliser, je suis loin de penser qu’en présence de telles fautes et de tels revers, la religion chrétienne disparaîtrait du monde et retirerait définitivement aux hommes sa lumière et son appui : ses destinées sont au-dessus des égaremens humains ; mais à coup sûr, pour que les hommes revinssent de tels égaremens, pour que la lumière rentrât dans leur âme et l’harmonie dans la société moderne, il faudrait qu’il éclatât de nouveau, dans les âmes et dans la société, un de ces troubles immenses, une de ces tourmentes révolutionnaires dont les hommes ne recueillent les leçons qu’après en avoir souffert tous les maux.

Près d’aborder des questions plus profondes et plus permanentes, je ne fais qu’indiquer ici ce que je pense de la crise qui agite en ce moment le monde chrétien, de sa cause principale, de ses périls, de ses acteurs, et des chances bonnes ou mauvaises qu’elle laisse entrevoir pour l’avenir. Dans l’ouvrage dont je publie aujourd’hui

  1. Évangile selon saint Matthieu, chap. X, verset 34.