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égale à celle qui résulte, contre tout miracle, de l’expérience qu’ont les hommes de la fixité des lois de la nature. « C’est l’expérience seule, dit Hume, qui donne autorité au témoignage humain, et c’est la même expérience qui nous atteste les lois de la nature. Quand donc ces deux sortes d’expériences sont en contradiction, nous n’avons autre chose à faire que de retrancher l’une de l’autre, et de nous faire une opinion, dans l’un ou l’autre sens, selon l’assurance que nous donne le restant de la soustraction. En vertu du principe que je viens de poser, cette opération, appliquée à toutes les religions populaires, aboutit à leur complète annulation. Nous pouvons donc établir en maxime qu’aucun témoignage humain ne peut valoir assez pour prouver un miracle et pour en faire le fondement légitime d’aucun système de religion[1]. » C’est dans ce raisonnement de Hume que s’enferment, comme dans un fort inexpugnable, les adversaires des miracles, pour leur refuser toute croyance.

Quelle confusion dans les faits et dans les idées ! Quelle superficielle solution de l’un des plus grands problèmes de notre nature ! Quoi ! ce serait une simple opération d’arithmétique, sur deux observations expérimentales évaluées en chiures, qui viderait la question de savoir si la croyance universelle du genre humain au surnaturel est fondée ou absurde, et si Dieu n’agit sur le monde et sur l’homme que par des lois instituées une fois pour toutes, ou s’il continue encore à faire, dans l’exercice de sa puissance, usage de sa liberté ! Non-seulement le sceptique Hume méconnaît ainsi la grandeur du problème, il se trompe aussi dans les motifs sur lesquels il fonde son étroite idée : ce n’est point dans l’expérience seule que le témoignage humain puise son autorité ; cette autorité a des sources plus profondes et une valeur antérieure à l’expérience ; elle est l’un des liens naturels, l’une des sympathies spontanées qui unissent entre eux les hommes et entre elles les générations des hommes ; est-ce en vertu de l’expérience que l’enfant se confie aux paroles de sa mère et croit tout ce qu’elle lui raconte ? La confiance mutuelle des hommes dans ce qu’ils se disent ou se transmettent les uns aux autres est un instinct primitif, spontané, que l’expérience confirme ou ébranle, redresse ou limite, mais qu’elle ne fonde point.

Je trouve dans le même essai de Hume[2] cette autre phrase : « Comme la surprise mêlée d’admiration qu’excitent les miracles est une émotion agréable, de là naît une tendance sensible à croire

  1. Essais et traités sur divers sujets, par David Hume. — Essai sur les miracles, t. III, p. 119-145 (Bâle 1793).
  2. Essai sur les miracles, p. 128,