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des adversaires du surnaturel, c’est de le combattre au nom de la science humaine et en le rangeant parmi les faits de son domaine. Le surnaturel n’appartient pas à ce domaine, et c’est pour avoir voulu l’y comprendre qu’on a été conduit à le nier.


III. — LES LIMITES DE LA SCIENCE.

Un moraliste éminent, à la fois théologien et philosophe, et très versé dans les sciences naturelles, le docteur Chalmers, professeur à l’université d’Edimbourg et correspondant de l’institut de France, a écrit, dans son ouvrage sur la Théologie naturelle, un chapitre intitulé : De la connaissance partielle et limitée qu’a l’homme des choses divines. J’en traduis les premières pages.

« La vraie philosophie moderne, dit-il, ne manifeste jamais plus clairement son caractère fondamental que lorsqu’elle touche à la limite qui sépare le connu de l’inconnu. C’est là qu’elle apparaît sous un double aspect : pleine de déférence et de respect pour toutes les découvertes de l’expérience en dedans de cette limite, peu favorable et méfiante envers toutes les spéculations ingénieuses ou plausibles qui appartiennent à la région idéale au-delà de cette limite. J’appelle à mon aide une langue supérieure à la nôtre en brièveté expressive, et je dis que l’office dg la vraie philosophie est indagare plutôt que divinare[1]. Ses œuvres sont des copies, non des créations. Elle peut découvrir un système dans la nature, non pas en inventer un. Elle commence par l’observation de faits spéciaux, et si ces faits parviennent à s’organiser en système, ce n’est qu’à la suite d’observations plus étendues. Dans son travail pour construire un système, la vraie philosophie ne fait point d’excursion hors du territoire de la nature actuelle, car ce sont les phénomènes actuels de la nature qui forment les premiers matériaux de la science, et ce sont les rapports actuels de ces phénomènes qui forment le lien, le ciment auquel les constructions de la science moderne doivent leur solidité et leur durée. C’est là ce qui distingue essentiellement la philosophie de notre temps de la philosophie des temps anciens ; celle-ci était surtout inventive, la nôtre est surtout descriptive ; son travail descriptif s’applique aux rapports similaires des choses aussi bien qu’à leurs traits particuliers, et c’est à l’aide de ces rapports, mais seulement de ces rapports observés en fait, que la science moderne arrive souvent à une harmonie plus magnifique et plus glorieuse que les plus brillans tableaux créés jadis par l’imagination des théoriciens.

C’est l’un des caractères intellectuels de cette philosophie qu’elle

  1. Chercher plutôt que deviner.