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de toutes parts, obligé de réprimer une conspiration des maréchaux, qui entourèrent la reine à Bêlera. Il finit par se retirer en 1838, abreuvé de dégoûts. Soutenus par la bienveillance de la reine, les chartistes allèrent peu à peu recouvrant le terrain que perdaient les septembristes, jusqu’au jour où Costa-Cabral, levant le masque en 1842, s’empara violemment du pouvoir et transforma l’ancien parti conservateur en parti cabraliste. Les septembristes, abandonnant cette désignation trop précise qui leur créait des obstacles, reprirent celle de progressistes, et poursuivirent ironiquement leurs adversaires du nom d’ordeiros, de ordem (ordre), comme si l’ordre de la rue fût devenu leur unique et suprême idéal. Cela dura jusqu’en 1846, époque où la révolution se relève, s’organise fortement en junta de gouvernement, et s’établit à Porto sous la direction de José da Silva Passos, le frère de dom Manoel, esprit fin, énergique, habile à manier les masses, et du comte das Antas, vieux soldat de la liberté, défenseur fidèle de dona Maria. Autour de ceux-ci accourent les progressistes et tout ce qu’il y a de jeune dans le pays, pour vaincre la réaction. La lutte s’engage entre la junta de Porto, que soutiennent un certain nombre d’officiers-généraux, et le gouvernement de Lisbonne, qui a pour défenseur le général Salldanha. Il fallut, vous le savez, une intervention de la France, de l’Angleterre et de l’Espagne pour mettre fin à cette guerre civile. Le gouvernement progressiste de Porto disparaît alors ; mais la nation entière reste profondément atteinte de cette victoire. Les chartistes, demeurés maîtres du terrain, voient chaque jour le pouvoir glisser de leur main, l’impopularité les accable ; on sent partout qu’il faut chercher le salut dans la liberté. C’est en vain que le comte de Thomar, expulsé pendant les premiers momens de la lutte en 1846 et rentré au pouvoir depuis, cherche à réprimer cette aspiration ; le terrain est miné sourdement sous ses pieds. Tout à coup, en 1851, Saldanha, devenu maréchal et duc, par une de ces évolutions si nombreuses et si imprévues dans sa carrière, lève le drapeau contre le gouvernement cabraliste ; les esprits étaient disposés à la lutte, le comte de Thomar est emporté. Singulier mouvement que celui-là ! Costa-Cabral, de révolutionnaire devenu comte de Thomar, représentait l’idée d’autorité. Mettant une intelligence peu commune et une décision prompte au service d’une ambition sans bornes, il était devenu le partisan de l’immobilité ; son caractère souple et énergique s’était emparé de l’esprit de la souveraine, il se jouait des obstacles, renversait les lois, et lorsque son pouvoir paraissait inattaquable, il tombait tout à coup, abandonné de tout le monde, devant un révolutionnaire qu’il avait fait duc et maréchal, tour à tour gentilhomme favori de Jean VI et de Pedro IV,