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prêt à mettre son épée au service de tous les partis, grand seigneur à tête folle. Qu’était-il donc arrivé à Saldanha ? Après avoir secondé le parti chartiste en 1846, il était à son tour persécuté par ceux qu’il avait servis, et il entrait en campagne pour renverser le gouvernement. Ce duc est véritablement un personnage original dans l’histoire de nos variations portugaises ; gâté par tout le monde, il s’est laissé prendre aux caresses de tous, et il a fini par nous faire payer fort cher ses services. Cependant, lorsque, démêlant à travers le trouble général les besoins et l’instinct vrai du pays, il convoqua autour de lui tous les hommes libéraux, quelle que fût leur origine, en les appelant à concourir au bien public, il effaça plus d’un tort. Le mouvement de 1851 ne prit pas le titre pompeux de révolution, il s’appela régénération ; cette désignation n’était peut-être pas moins prétentieuse ni moins vague, mais elle indiquait des tendances généreuses. Le parti progressiste, qui était tout entier dans le mouvement, qui avait le premier répondu à l’appel du maréchal, subit alors une décomposition nouvelle. Les uns, se ralliant autour de Rodrigo da Fonseca Magalbaès, Almeida Garrett et Fontes Pereira de Mello, prennent le nom de progressistes régénérateurs, les autres, marchant sous les inspirations du marquis de Loulé[1] et de José Estevao, restent attachés aux traditions septembristes, et s’appellent progressistes historiques. Voilà en quelques mots les évolutions de notre monde politique. »

Le Portugais ingénieux et sensé qui me donnait ces détails sur l’histoire récente de son pays s’en prenait aux hommes aussi bien qu’aux événemens. « Le Portugal serait aujourd’hui, disait-il encore, dans la période la plus brillante de son libéralisme, s’il avait une tête. La mort de Rodrigo da Fonseca Magalbaès fut une grande perte ; il était cette tête[2]. Son esprit fin et pénétrant saisissait une situation du premier coup d’œil, sa repartie prompte et mordante séduisait plutôt qu’elle ne blessait ; il aimait à voir la jeunesse s’élever autour de lui ; sa prudence et son tact écartaient les aventures du chemin de ses jeunes collègues, dont il rassemblait les forces pour les diriger vers un but utile. Plusieurs fois ministre chartiste, il ne se révéla vraiment comme homme d’état que lorsqu’il prit en 1851 le ministère de l’intérieur. Auprès de ce chef qu’on n’a pas remplacé

  1. Depuis devenu duc à son tour.
  2. Né en 1787 à Condeixa, près de Coïmbre, il mourut à Lisbonne en 1858. Sa vie, commencée dans les camps pendant la guerre péninsulaire, fut jusqu’à sa dernière heure consacrée au pays ; il ne voulut jamais accepter ni titres ni récompenses ; la reine dut lui ordonner de porter le grand-cordon du Christ. À son lit de mort, il fit jurer au fils qu’il laissait de n’accepter aucun » faveur. Rodrigo da Fonseca fut ministre de l’intérieur dans le premier cabinet formé par le duc de Saldanha après le mouvement de 1851. On lui doit la plupart des réformes de cette époque.