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clergé ne fut plus puissant à une certaine époque qu’en Portugal. Pour assurer sa domination, il enveloppa le pays dans un réseau de chapitres et de couvens qui pénétraient, sous les formes les plus variées, jusque dans l’intimité des familles. Son opulence s’accrut à mesure que l’état s’appauvrissait ; les prélats devinrent de riches et puissans seigneurs ayant sous leurs ordres une milice de moines et de chanoines, qui trouvaient au fond du cloître ou dans les stalles d’une cathédrale toutes les délices d’une vie abondante et oisive. La virginité devint une profession à laquelle la jeune fille fut préparée dès l’âge le plus tendre : à six ou sept ans, elle était confiée à quelque vieille parente chargée de l’initier aux charmes de la vie contemplative, d’où l’ambition n’était pas bannie. Cette existence cléricale se développa si bien qu’elle faillit étouffer la société civile : on eût dit à certains momens que la famille ne subsistait que pour que la sainte milice pût venir s’y recruter.

Lorsque la société se montra, dans le mouvement moderne, décidée à détruire les privilèges, tout ce monde de privilégiés s’effraya. N’était-ce point une menace contre le principe même de son organisation ? Qu’allaient devenir ces existences féodales, si leurs ressources venaient à tarir ? Dans la lutte de l’absolutisme contre la liberté, le clergé prit parti pour l’immobilité, apportant à dom Miguel le secours de sa puissante influence sur les masses. On vit s’organiser, il est vrai, en face de ce clergé miguéliste un clergé pédriste ; mais celui-ci ne réunit guère que les prolétaires de la robe noire, auxquels vinrent se joindre quelques ambitieux déçus et quelques révoltés ; les riches et les puissans résistèrent. Dom Pedro, après sa victoire, ne se laissa pas tromper par toutes les soumissions apparentes, et en 1834 il brisa cette redoutable organisation : l’évêque et le prêtre furent respectés, mais leurs privilèges furent détruits. Les religieux, expulsés de leurs couvens, qui se fermèrent, durent se réfugier dans les rangs du clergé séculier ; les religieuses seules obtinrent de terminer leurs jours dans la retraite. Les monastères et leurs dépendances furent déclarés biens nationaux. Comme mesure fiscale, si l’on consulte les adjudications dans lesquelles furent vendus ces biens, on s’apercevra que le gouvernement avait fait une assez pauvre spéculation ; mais le résultat politique était obtenu. On peut regretter seulement que des monumens comme le cloître de Thomar, le monastère d’Alcobaça, la chartreuse du Bussaco, qui eussent pu servir à l’établissement des invalides, à la création d’écoles publiques, se trouvent aujourd’hui dans le plus triste délabrement, nul ne songeant à les entretenir. On a essayé à plusieurs reprises de revenir sur cette mesure ; tout a été inutile jusqu’à ce jour. Naguère la vie de communauté essayait de faire une