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nouvelle apparition ; elle se présentait assurément sous sa forme la plus sympathique, sous la forme de sœurs de charité. Les lazaristes qui accompagnèrent les premières religieuses à Lisbonne purent voir néanmoins le mouvement de répulsion générale qui se manifesta. On s’efforça de présenter ce mouvement comme dirigé contre l’influence française. C’était là une erreur : le Portugal ne voulait pas de couvens, quels qu’ils fussent. Nul ne méconnut la touchante sollicitude des nobles patronnesses de l’œuvre, mais il y avait parti-pris : « plus de vie monacale ! »

S’il fallait juger le passé du clergé par son présent, on se ferait une singulière idée des mœurs de cette classe qui se donnait comme un modèle. Ces mœurs n’émeuvent plus guère le Portugais malgré ce qu’elles ont de scandaleux parfois : le presbytère peuplé de cousines et de nièces n’étonne personne ; nul ne trouve à redire à ces pseudo-paternités. Le prêtre, à la campagne surtout, n’aspire point à jouir d’une vie spéciale ; il préfère se mêler à la foule, Il a même abandonné son costume : à peine le reconnaît-on à un liséré bleu ou blanc qui orne sa cravate noire. Le père prieur est de tous celui qui porte les plus belles bottes à l’écuyère ; il est le mieux éperonné. Le curé, se mêlant à ses ouailles, s’en va brocantant des chevaux dans les foires et vendant des fusées et des feux d’artifice aux fêtes religieuses. De Coïmbre à Porto, tout le monde a connu un jeune prêtre, au surplus bon vivant, qui au sortir de sa chapelle se trouvait entrepreneur de travaux publics, élevant des ponts, déblayant des tranchées, menant enfin, le fouet à la main, le cigare à la bouche, la vie plus laborieuse que canonique des chantiers de chemins de fer. Les tribunaux de Beira connaissent tous aussi certain prieur, très habile plaideur, qui met son éloquence au service de ses paroissiens, non gratuitement bien entendu, et ne se fait nul scrupule de les abandonner dès que le papier timbré a par trop écorné leurs économies. On n’attache pas une grande importance à tout cela, s’agît-il même de choisir le confesseur annuel, car tous les Portugais, au moins une fois l’an, pratiquent la religion. S’il fallait en croire le bruit public, cet état de dissolution où l’on voit le clergé portugais serait déjà une amélioration. Franchement, ce n’est pas beaucoup dire. Cette vie un peu trop bohémienne pourrait bien porter atteinte au zèle des croyans ; mais un refroidissement se manifeste-t-il, on organise aussitôt une prédication dont le genre trivial et terrible manque rarement son effet. On appelle quelques capucins prêcheurs qui, spéculant sur l’ignorance des populations, les tiennent des journées entières attentives aux récits des joies et des tourmens de la vie future. Ils font passer devant leurs yeux toutes les fêtes du paradis, ou leur versent à flots le plomb fondu et la poix