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vient se reposer sur les rives du Tage ou du Douro, qui sont restées comme un eldorado dans l’imagination de plus d’un planteur. On dirait que le royaume européen est presque devenu la capitale de l’empire américain. Jamais les deux pays ne furent plus étroitement liés que depuis l’époque où, se séparant à l’amiable, ils ont pu librement, chacun de son côté, satisfaire leurs intérêts et leurs besoins.

On se trompe souvent sur le rôle et les tendances de la nationalité. portugaise ; on est tenté de faire trop bon marché d’une énergie bien caractéristique cependant. Des relations commerciales activés, des traditions historiques encore récentes unissent sans doute étroitement le Portugal à l’Angleterre ; mais c’est une erreur de croire que la famille de Bragance et son peuple aient abdiqué leur liberté d’action. L’opinion si répandue qui prête aux Portugais des goûts exclusivement britanniques trahit une grande ignorance de l’état réel des choses, je dirai même de l’esprit de la race. On commettrait une erreur pour le moins aussi grande, si, par suite de considérations ethnographiques, on ne voyait dans la nation portugaise qu’un membre détaché de la monarchie castillane. Sans doute on peut croire qu’il s’opérera un jour un rapprochement entre les deux peuples de la péninsule ibérique ; mais, pour amener cette réconciliation, il faut se garder avant tout d’afficher des idées ambitieuses d’absorption. En 1861, sous ce spécieux prétexte de communauté de race, il s’éleva à Madrid une polémique dans une pensée bien manifeste d’annexion. Cette polémique eut un résultat de telle nature que des côtes de l’Algarve aux rives du Minho on se prépara aussitôt à célébrer en grande pompe l’anniversaire de la révolution de décembre 1640, qui, mettant les Bragance sur le trône, rendit au Portugal son indépendance en chassant les Espagnols. Les esprits étaient si fort agités que Pedro V venant à mourir sur ces entrefaites, la foule crut voir dans ce malheur un attentat prémédité, une trahison ; il fallut tout le patriotisme bien connu de quelques hommes pour calmer cette émotion. Tel fut le résultat de cette idée de fusion inopportunément soulevée, que le Portugais, plus défiant que jamais, se plaisait à rendre plus sensibles les barrières qui le séparaient de son voisin, affectant de ne pas connaître sa langue et de la mal parler lorsque le hasard la lui avait apprise. Ces deux peuples sont frères, mais ce sont deux frères qui veulent vivre indépendans.

Ce serait en définitive vers la France que le Portugal inclinerait le plus volontiers, si les hasards de la politique ne venaient de temps à autre refroidir ses élans. N’est-ce pas un phénomène singulier que la sympathie que nous a vouée ce petit peuple ait si peu excité